Le spleen de la révolution égyptienne, dans une biennale d’art urbain en Allemagne
Leurs fresques murales et graffitis avaient fait le tour du monde aux grandes heures de la révolution égyptienne. Qu’en reste-t-il ? A Völklingen (ouest de l’Allemagne), une biennale d’art urbain donne un aperçu du désenchantement des artistes égyptiens sous la présidence d’Abdel Fattah al-Sissi.
Sous le portrait en uniforme militaire du nouvel homme fort d’Egypte, dans les mêmes tons que le célèbre poster de Barack Obama durant sa campagne présidentielle de 2008, la mention « Joke » (farce) a remplacé le « Hope » (espoir) de l’original américain.
« Je voulais montrer par là que je n’étais pas dupe de la propagande d’al-Sissi, pas plus que de celle de Barack Obama », explique Nazeer, son auteur, qui a placardé son oeuvre dans les rues du Caire à une poignée d’exemplaires en juillet 2013, après la prise de pouvoir du maréchal Abdel Fattah al-Sissi.
« J’ai arrêté de faire des graffitis et des posters depuis environ six mois maintenant », confie le jeune homme de 25 ans. « Car c’est plutôt difficile de faire des choses dans la rue, la répression policière est forte en ce moment sur ce genre d’activité », souligne-t-il.
Début 2011, des manifestations monstres en Egypte, notamment place Tahrir au Caire, avaient entraîné la chute du régime d’Hosni Moubarak, entraînant une longue période de troubles.
En juillet 2013, le président démocratiquement élu Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, a été renversé par un coup d’Etat militaire. Sous la présidence autoritaire d’al-Sissi, islamistes comme anciennes figures de la révolution de 2011 sont persécutés et les manifestations d’opposition réprimées.
La contestation politique des artistes-activistes égyptiens continue cependant, mais d’une manière plus feutrée et sur d’autres supports comme internet, la bande dessinée ou des vidéos, selon Nazeer.
« Les choses sont plus calmes actuellement. Si vous dites que vous êtes contre le pouvoir, on vous accuse d’être un islamiste », déplore Ammar Abo Bakr, 35 ans, un artiste qui s’était beaucoup engagé dans la révolution de 2011.
« Mais nous veillons toujours sur des fresques de la révolution dans quelques rues près de la place Tahrir. C’est devenu une sorte de musée à ciel ouvert de l’esprit révolutionnaire. Les gens qui viennent nous voir apprécient, c’est vraiment positif, ça me donne de l’espoir pour continuer », ajoute-t-il.
– ‘Testament artistique’ –
Plus de 80 oeuvres contemporaines du monde entier, dont une dizaine du monde arabe, sont exposées à la deuxième biennale d’art urbain de la Völklinger Hütte, immense usine sidérurgique reconvertie en « centre européen d’art et de culture industrielle » après son classement en 1994 au patrimoine mondial de l’Unesco.
Une place de choix est réservée à l’Egypte. Car dans ce pays « l’art urbain a accompagné, voire initié la révolution, il a écrit l’Histoire », estime Meinrad Maria Grewenig, le directeur général de la Völklinger Hütte.
Mais aujourd’hui « c’est une grande désillusion », relève Don Karl, auteur berlinois et éditeur de livres sur l’art urbain.
La plupart des oeuvres murales de la révolution égyptienne, qu’il a compilées dans son dernier ouvrage paru l’an dernier, « Walls of freedom » (Murs de la liberté), ont aujourd’hui disparu.
« Beaucoup d’artistes ont abandonné le street art, d’autres tentent leur chance à l’étranger. Et certains d’entre eux voient ce livre comme leur testament artistique », selon Don Karl.
« Certains artistes égyptiens n’ont plus l’énergie de continuer », glisse avec amertume Hanaa el Degham, qui vit à Berlin depuis 2007 mais se rend régulièrement en Egypte, où elle anime des ateliers artistiques pour « apprendre aux jeunes à voir par eux-mêmes ».
L’une de ses oeuvres, exposée à la biennale, représente des femmes égyptiennes à côté de figures féminines évoquant les fresques de l’Egypte antique. Entre profusion de couleurs et espaces quasi vides, l’ensemble donne une impression d’inachevé. Son titre ? « The return to the Egyptian spirit. . . Not yet realised ! » (Le retour à l’esprit égyptien. . . Pas encore réalisé !).
« Nous en sommes toujours à essayer de comprendre comment on en est arrivé là », explique la jeune femme.
Pour Ammar Abo Bakr, l’art contestataire égyptien n’est pas mort, mais simplement en train de muer. D’ailleurs « le principe d’une révolution, c’est de ne pas répéter ce que vous faisiez avant », souligne-t-il.
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