Le tambour, vestige d’un Burundi royal et uni

Jeunes adultes, enfants, ils sont une vingtaine à frapper frénétiquement sur quinze tambours et danser à leur rythme endiablé. A leur tête, Antime Baranshakaje, ancien tambourinaire du roi du Burundi, bouclier et lance en main, les dirige bon pied bon oeil du haut de ses 79 ans.

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Publié le 3 avril 2015 Lecture : 4 minutes.

Cérémonie de danse rituelle au tambour royal du Burundi © Carl de Souza/AFP
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Burundi, le grand saut

Législatives, communales, présidentielle, sénatoriales, collinaires… Le pays va se lancer, fin mai, dans un marathon électoral qui s’achèvera en août. Et le climat est tendu.

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Le groupe de tambourinaires de Gishora, en haut de la colline éponyme dans la province de Gitega (centre), est en démonstration pour les journalistes de passage et quelques habitants venus profiter du spectacle.

Les tambours du Burundi et la danse qui les accompagne, classés l’an dernier au patrimoine immatériel de l’Unesco, sont aujourd’hui pur divertissement, joués par des troupes professionnelles. Mais des siècles durant, ils ont été une affaire sacrée, symbole d’un royaume soudé dans un pays à l’histoire récente sanglante.

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Autrefois « le tambour, c’était le symbole du pouvoir royal », raconte l’abbé Adrien Ntabona, anthropologue. « Ce n’était pas une petite chose banale comme aujourd’hui. Dieu passait par le tambour pour protéger la monarchie et le royaume, l’ensemble du pays ».

En kirundi, langue nationale du Burundi, le mot « ingoma » signifie d’ailleurs à la fois tambour et royaume.

– Effervescence –

Antime Baranshakaje est l’un des tout derniers tambourinaires à avoir joué, avant la proclamation de la République en 1966, devant le monarque du petit pays d’Afrique des Grands Lacs à l’occasion de la fête des semailles.

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Célébrée en décembre, cette fête centrale de la culture burundaise servait à bénir les récoltes de l’année et se préparait des mois à l’avance.

Dès le mois d’août, il fallait refaire les tambours. Couper le bois dans lequel ils seraient taillés, travailler la peau qui allait les recouvrir, avant de prendre la route pour la capitale royale Muramvya, à une soixantaine de kilomètres de Gishora.

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Tambours sur la tête, le groupe d’Antime Baranshakaje partait des jours à l’avance: les tambourinaires savaient que le trajet à travers les villages serait long et animé.

Partout, à chaque étape, « on faisait la fête », se souvient-il. « On nous donnait à manger, à boire. On nous appelait +Abaganuza B’umwami+ (ceux qui aident le roi dans la fête des semailles) et on nous respectait. Tout le pays était en effervescence ».

Car le tambour était aussi symbole d’un royaume en paix – selon un proverbe kirundi, « là où l’on joue du tambour c’est qu’il y a la paix » – et uni: le monarque entretenait un système de partage des tâches rodé où chaque clan avait sa place, loin des antagonismes qui, après la fin de la monarchie, ont divisé Hutu et Tutsi et débouché sur des massacres.

« La royauté avait cette chose extraordinaire: elle associait toute la population » à la vie du pays, dit l’abbé. « Les différents clans avaient tous un rôle autour de la monarchie, jusqu’aux balayeurs, jusqu’à ceux qui enlevaient la bouse à la cour royale, ceux qui produisaient des calebasses, ou encore des peaux, des paniers. . . « 

Si la République « avait imité le pouvoir royal en associant tout le monde », cela aurait pu éviter les violences, estime-t-il en déplorant la tournure « monopartiste et dictatoriale » prise par le pouvoir après 1966.

– Stabilité –

Une fois arrivés à Muramvya, Antime Baranshakaje et ses acolytes faisaient taire leurs tambours, jusqu’à ce que le roi bénisse le sorgho. Reprenait alors un concert à tout rompre de percussions, relayé de colline en colline à travers le pays: le signal était donné, les paysans pouvaient ensemencer leurs champs.

Le symbole extrême du pouvoir royal était un tambour bien spécial, qu’Antime Baranshakaje lui-même n’a jamais pu jouer: « Karyenda », secrètement gardé dans un coin de la demeure royale par une vestale qui l’enduisait de beurre pour l’entretenir. Il était joué pour le roi à l’occasion de moments très spéciaux par des tambourinaires triés sur le volet.

« Ce tambour symbolisait la stabilité du royaume », poursuit l’abbé Ntabona. « Quand un roi était vaincu, on lui volait le tambour et il était complètement à terre ».

Selon la légende, l’apparition du tambour coïncide avec la naissance de la monarchie burundaise, dans le sud-est du pays.

Ntare 1er, progressant du Sud vers le Nord au XVIe ou XVIIe siècle selon les traditions orales, se serait un jour arrêté en haut du massif du Nkoma, y aurait tué son taureau et étendu sa peau par terre. Un python sacré serait alors sorti du sol et, de sa tête, aurait frappé la peau, inaugurant le battement sourd, et donnant son nom au tambour royal.

– Modernité –

Le tambour s’est « modernisé » et « démocratisé » peu à peu après l’arrivée des missionnaires sous la colonisation belge, qui a duré jusqu’en 1962, raconte encore l’Abbé Ntabona. Le son du tambour s’est alors mis à annoncer la messe ou l’école.

Le travail de désacralisation s’est poursuivi après la destitution du dernier roi burundais, Ntare V.

« Aujourd’hui, le tambour est même monétarisé: à chaque fête les gens paient cher pour avoir un tambour », explique l’abbé Ntabona.

Dans leur gestuelle, les tambourinaires d’aujourd’hui ont cependant gardé les signes de soumission au roi: quand ils ne jouent pas, ils dansent en enchaînant les pas de déférence, s’accroupissent, s’inclinent.

« Beaucoup de choses ont changé », reconnaît un brin nostalgique Antime Baranshakaje, qui a fait la promotion de son art dans 31 pays, en s’adaptant.

Car comme dit cet autre proverbe kirundi, « c’est celui qui frappe le tambour qui imprime le rythme aux danseurs », glisse-t-il, fier de jouer désormais non plus pour le roi, mais pour le président ou les hôtes de marque.

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