Au Nigeria, la jeune génération boude le chapeau traditionnel
Au Nigeria, les chapeaux en disent long sur les origines ethniques et sociales – parfois même sur l’appartenance à une lignée royale – mais pour Raphaël Akindele et ceux de sa génération, c’est surtout un accessoire encombrant.
« Je me sens mal à l’aise quand je porte un chapeau avec un buba & sokoto », la tenue traditionnelle composée d’une tunique sur un pantalon, confesse le garçon de 21 ans.
« Ce genre d’habillement, c’est pour les anciens », considère ce technicien informatique, vêtu d’un simple jean et d’un tee-shirt, au milieu des tenues en pagne coloré, lors d’un mariage à Lagos.
Du feutre au Panama en passant par le chapeau melon et le Borsalino, les chapeaux ont longtemps fait partie en Occident de la garde-robe de l’homme élégant, jusqu’à ce qu’ils passent de mode.
Au Nigeria, beaucoup d’hommes continuent à porter des chapeaux aux formes, aux tailles, aux couleurs et aux motifs divers, chacun d’entre eux ayant une signification précise.
Le plus connu des ambassadeurs de cette mode nigériane est son président Goodluck Jonathan, presque toujours vêtu de son feutre noir, un chapeau très porté dans le sud pétrolifère du pays dont il est originaire.
Le Trilby ou le chapeau melon, parfois agrémenté d’une plume blanche, sont aussi portés par les hommes du Delta du Niger, alors que dans le Nord, les Haoussas lui préfèrent le « habar kada », souvent comparé à une gueule de crocodile.
Les Yorubas, l’ethnie majoritaire à Lagos, revêtent le « gobi », un chapeau en tissu orné de broderies, qui peut être dressé tout droit sur la tête ou incliné, ou bien l’ »abeti aja », dont les bouts triangulaires tombent des deux côtés du visage, comme des oreilles de chien.
Chez les Ibos, seuls les chefs traditionnels et les rois portent un petit fez rouge semblable à ceux portés en Afrique du nord.
« Un truc du passé »
Ismail Aminu, un étudiant de 24 ans à Maiduguri, dans le Nord-Est, n’aime pas beaucoup les chapeaux: ils lui donnent la migraine.
« Les chapeaux sont très lourds dans cette région du Nigeria, parce qu’ils sont amidonnés et brodés », raconte-t-il. Par conséquent, il en porte « seulement de façon occasionnelle, lors des cérémonies religieuses ou traditionnelles ».
« Ca devient de plus en plus un truc du passé », considère Ismail.
L’abandon du couvre-chef inquiète les aînés, pour qui le port du chapeau est une seconde nature.
« C’est une violation de l’éthique de la culture nigériane », s’inquiète Lere Adeyemi, professeur à l’université de Lagos.
Pour Benjamin Ofomadu, un professeur retraité âgé de 76 ans, ne pas porter de chapeau avec une tenue traditionnelle, c’est un comportement « irresponsable » et même « un sacrilège culturel ».
Au Nigeria, le port du chapeau « est une marque de respect » pour soi-même, avant tout, estime M. Adeyemi.
« Quand on ne porte pas de chapeau, la tenue traditionnelle n’est pas complète », insiste-t-il, cela traduit « une déconnexion entre l’homme et sa propre culture(. . . ), c’est triste ».
Alors que certains blâment l’influence occidentale, notamment via la télévision, pour M. Adeyemi, pointe du doigt les métiers qui imposent un code vestimentaire.
Dans le secteur bancaire, par exemple, les hommes portent tous des costumes-cravates à l’occidentale.
Les perruques et les robes introduites pendant la période coloniale britannique dans les métiers de la justice sont toujours de rigueur aujourd’hui.
Le jean, porté avec un tee-shirt et même une casquette sont aussi de plus en plus fréquents parmi les jeunes notamment dans les grandes villes comme Lagos.
Le prix des chapeaux est un des facteurs de leur déclin: certains d’entre eux peuvent coûter plusieurs milliers de nairas, une somme prohibitive pour beaucoup de jeunes.
Les chapeliers sont particulièrement affectés par ce changement de mode.
« Avant je faisais au moins douze chapeaux par semaine; ça c’était il y a plusieurs années. Maintenant j’en fait à peine trois par semaine », déplore Idris Mapaderun, un chapelier de Lagos âgé de 55 ans, aujourd’hui obligé d’avoir une deuxième activité pour s’en sortir.
Le nord du pays, majoritairement musulman, où le chapeau reste obligatoire dans les mosquées, par exemple, la tradition du chapeau persiste mieux que dans le Sud plus moderne.
Ismail Aminu reconnaît lui-même que malgré l’inconfort, il porterait un chapeau s’il devait rendre visite au Shehu de Borno, la personnalité la plus influente de sa région.
« Je ne voudrais pas être vu comme un descendant d’esclave par les courtisans du palais, en ne portant pas de chapeau », dit-il.
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