Au Nigeria, le pidgin supplante l’anglais et les langues locales

Dans les studios de la radio Wazobia FM, à Lagos, en pleine matinale, le débit est rapide et les vannes fusent, ponctuées par des éclats de rire communicatifs.

Au Nigeria, le pidgin supplante l’anglais et les langues locales © AFP

Au Nigeria, le pidgin supplante l’anglais et les langues locales © AFP

Publié le 21 janvier 2014 Lecture : 3 minutes.

Les programmes y sont diffusés exclusivement en pidgin anglo-nigérian — une sorte de créole à base d’anglais qui est en passe de devenir la langue vernaculaire au Nigeria.

Dans un pays dont les quelque 170 millions d’habitants parlent près de 500 langues différentes, le pidgin est de plus en plus employé pour communiquer d’une région à l’autre, supplantant peu à peu l’anglais, la langue officielle.

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Des antennes régionales de Wazobia FM diffusent désormais à Port Harcourt, dans le sud pétrolifère, mais aussi à Abuja, la capitale, et même à Kano, principale ville du Nord.

« Si vous voulez atteindre le citoyen lambda, vous devez parler une langue qu’il comprend –il faut lui servir du « broken English » (anglais approximatif), du « pidgin English », estime Steve Onu, plus connu sous le nom de DJ Yaw, un des animateurs vedette de Wazobia.

La matinale que DJ Yaw présente enregistre les meilleures audiences de la station. Avec son collègue Nedu, il traduit en pidgin tous les grands titres de la presse nigériane en anglais.

« Le pidgin évolue chaque jour –les gens l’enrichissent avec leur propre langue– c’est une langue intéressante et pleine d’humour », dit-il.

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L’utilisation de ce dialecte, surtout employé à l’oral, remonte au commerce entre les explorateurs européens et les communautés côtières ouest-africaines, au XVème siècle.

Le portugais puis l’anglais ont progressivement été mêlés à des expressions locales, provenant du Delta du Niger notamment, pour créer un cocktail linguistique unique en son genre.

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« You sabi? », par exemple, veut dire « Est-ce que tu sais? » Sabi vient du portugais « saber », qui veut dire savoir.

Au Nigeria, le pidgin n’est pas seulement utilisé par les différentes ethnies pour communiquer entre elles: c’est aussi un dialecte partagé par toutes les couches de la société, du chauffeur de taxi jusqu’à l’homme d’affaire.

L’anglais plus formel, héritage de la colonisation britannique, est considéré, quant à lui, comme la langue des élites urbaines éduquées.

Mais les instituteurs et les professeurs d’école ne voient pas forcément d’un bon oeil le déclin de la langue officielle au profit de ce qu’ils considèrent comme des habitudes « paresseuses » qui se répandent chez les jeunes.

A l’école privée Jomal de Lagos, Benedicta Esanjumi, professeur d’anglais, ne veut pas baisser les bras.

« Le pidgin abîme trop la langue anglaise, cela détruit l’anglais des enfants, à l’écrit comme à l’oral. Parfois on a l’impression qu’on ne peut rien y faire, mais moi j’y crois encore, ce n’est pas une bataille perdue d’avance », pense-t-elle.

Risque d’extinction

L’anglais n’est pas la seule victime de la popularité du pidgin: l’ibo, le haoussa et le yoruba, les trois principales langues nigérianes, sont elles aussi menacées.

L’apprentissage de ces langues à l’école a reculé ces dernières années. Dans certains établissements, il n’est d’ailleurs plus obligatoire.

« Le manque d’attention porté à ces langues locales pourrait mener à leur extinction », s’inquiète Lere Adeyemi, professeur de linguistique à l’université de Lagos.

« Dans la plupart des établissement d’enseignement secondaire du Nigeria (. . . ) les langues locales sont devenues une option, alors qu’avant, c’était obligatoire dans les programmes scolaires », regrette-t-il.

Une université du sud-est du Nigeria, où l’ibo est la langue la plus répandue, a annoncé récemment vouloir rétablir les cours d’ibo obligatoires pour les étudiants de deuxième année.

Au niveau fédéral, une règle stipule que l’enseignement doit se faire dans la langue locale de la région durant les quatre premières années d’école, puis cette langue doit rester une matière obligatoire du programme jusqu’en troisième année de collège.

Mais cette règle n’est pas appliquée à la lettre, reconnaît Nneoma Ofor, coordinatrice des langues nigérianes au ministère de l’Education.

Le pidgin a ses avantages, estime le professeur Chima Anyadike, à la tête du département d’anglais de l’université Obafemi Awolowo à Ife (sud ouest).

« C’est un moyen de communication viable dans l’ensemble du Nigeria; La langue a le pouvoir d’unir un peuple », dit-il.

« J’ai hâte que des romans et des pièces de théâtre soient présentés en pidgin. Ca intéresse énormément les Nigérians ».

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