Niger: la ville de Diffa s’organise pour lutter contre Boko Haram
Le soldat en treillis, sérieux, pédale fougueusement sur un vélo à petites roues: à Diffa, la capitale du sud-est nigérien devenue ville-garnison à cause de la menace Boko Haram, les motos souvent utilisées par les insurgés islamistes nigérians sont désormais interdites.
Les centaines de kabou-kabou (moto-taxis) qui pétaradaient à toute heure ont disparu de la ville: les autorités, dans leur effort de prévenir de nouveaux raids meurtriers de Boko Haram, les ont prohibés.
Les carcasses de dizaines de deux-roues gisent ainsi entre Bosso, un bourg situé à plus de 2 heures de route de Diffa, et Malam Fatori, ville nigériane qui lui fait face, anciennement sous contrôle des islamistes.
« Depuis qu’on a arrêté la circulation des motos, il n’y a plus d’attaque. La population dort bien », se félicite le gouverneur de la province, Yacouba Soumana Gaoh. Et d’asséner: « nous sommes conscients que certains chauffeurs de kabou-kabou ont perdu leur gagne-pain. Mais ceux qui veulent qu’on les laisse retravailler sont pro-Boko Haram. «
Début février, cette ville de quelques dizaines de milliers d’habitants, frontalière avec le nord-est du Nigeria, berceau de la secte muée en mouvement jihadiste, a été la cible de plusieurs attaques de Boko Haram. L’insurrection et sa répression ont fait plus de 15. 000 morts depuis 2009.
La plupart des habitants qui avaient alors fui sont revenus. Le marché fonctionne à nouveau. « Mais on ne peut pas dire que la vie ait repris normalement. Il n’y a presque plus d’élèves, personne dans les rues, des militaires partout », estime un commerçant.
Police, gendarmerie, armées nigérienne et tchadienne, et même quelques troupes françaises de la mission Barkhane dans le Sahel: les forces de sécurité sont en effet omniprésentes dans cette ville basse écrasée par la canicule, dont le sable envahit les rares rues goudronnées.
– « Climat délétère » –
Un couvre-feu strict interdit la circulation des véhicules après 20H00. Les piétons sont théoriquement libres de déambuler. Mais rares sont ceux qui s’y risquent. « La nuit, on entend des tirs de mitraillettes, souvent des tirs de sommation », souligne une source onusienne.
« La situation sécuritaire s’est beaucoup améliorée à Diffa. Mais la psychose demeure », assure le chargé de sécurité d’une organisation onusienne.
Les centaines de policiers et militaires s’emploient à atténuer la paranoïa ambiante, renforcée par l’arrivée de milliers de réfugiés nigérians et de déplacés nigériens, parfois soupçonnés d’être des combattants infiltrés.
« Dans cette guerre asymétrique, on ne sait pas qui est qui. Le boutiquier chez qui tu fais tes courses peut être arrêté demain », regrette un cadre onusien.
« Le climat est délétère », soupire Boureima Kiari, le représentant local de l’ONG Alternative espaces citoyens. « Dès que vous critiquez les autorités, on peut vous accuser d’être complice de Boko Haram », ajoute-t-il, déplorant « une réduction de la liberté d’expression ».
Très véhément sur la gestion humanitaire du conflit, Moussa Tchangari, un cadre de cette organisation, est poursuivi pour « atteinte à la défense nationale », accusé d’avoir tenu « des propos de nature à démoraliser l’armée ».
Autre grief de la société civile: les arrestations après délations de centaines de militants présumés de Boko Haram, qui ont parfois abouti à des « disparitions ».
« Boko Haram, au début, ce n’était pas quelque chose de caché. Tout le monde savait qui étaient leurs membres, quelles mosquées ils fréquentaient », raconte un trentenaire, militant associatif, dont les anciennes connaissances séduites « pour l’argent » par les islamistes se réduisent désormais à trois groupes : « Il y a ceux qui sont à la cellule antiterroriste à Niamey, ceux qui sont restés au Nigeria, et les autres, qui sont morts. «
Des milliers de soldats nigériens et tchadiens sont postés ailleurs dans la région, qu’ils affirment contrôler. Même si une attaque fin avril contre une position militaire nigérienne sur une île du lac Tchad a fait 74 morts et 32 disparus.
« Ils ont rassemblé près de 2. 000 hommes pour encercler les nôtres. C’est comme ça qu’ils ont eu l’avantage, explique le colonel Moussa Salou Barmou, commandant de la zone pour l’armée nigérienne. Mais en terme de puissance de feu pure, ils ne font pas le poids. «
En attendant, à Diffa, les accès aux bâtiments stratégiques (commissariat, gouvernorat. . . ) sont désormais « protégés » par des vieux pneus et des barils remplis de sable. Une mitrailleuse montée sur un pick-up militaire a même été installée dans une tranchée creusée au beau milieu d’un quartier d’habitations.
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