L’Afrique, en pleine mutation économique, cherche son super banquier
C’est un des postes les plus convoités du moment en Afrique: sept hommes et une femme briguent jeudi la présidence de la stratégique Banque africaine de développement (BAD), institution cinquantenaire confrontée à la mutation économique du continent.
Difficile de dire qui succèdera au Rwandais Donald Kaberuka, qui dirige la BAD depuis dix ans et qui restera comme l’homme qui a ramené le siège de la banque de Tunis à Abidjan.
« Le retour s’est passé très convenablement et d’ailleurs 2014 a été la meilleure année pour la banque depuis 8 ans », a déclaré M. Kaberuka au cours d’une conférence de presse lundi à Abidjan.
Après le coup d’Etat manqué de 2002 en Côte d’Ivoire et la décennie de crise politico-militaire qui a suivi, l’institution avait été délocalisée à Tunis en 2003. Elle n’est revenue que l’an dernier dans la capitale économique ivoirienne.
Avec ses petites lunettes rondes et son costume toujours impeccable, M. Kaberuka cultive l’image d’un banquier austère mais laisse derrière lui une institution financièrement solide.
« A mon arrivée en 2005, la banque finançait 200 millions de dollars de projets par an. Aujourd’hui en 2015 nous sommes à 2 milliards chaque année », a ajouté le président sortant.
Pour lui succéder, les 80 actionnaires (54 pays africains, 26 pays non africains) vont-ils désigner pour la première fois une femme, et pour la première fois une lusophone, la Capverdienne Cristina Duarte?
Pencheront-ils pour le Nigérian Akinwumi Adesina, consacrant un pays qui, malgré les attaques du groupe islamiste Boko Haram, concurrence l’Afrique du Sud comme chouchou des investisseurs sur le continent? Ce serait briser la règle non écrite interdisant à un poids lourd régional de contrôler l’organisation.
Et même si le Nigérian parle un excellent français, cela ne plairait guère à l’Afrique francophone représentée par le Malien Birama Sidibé et le Tunisien Jalloul Ayed.
Le Tchadien Bedoumra Kordjé pourrait devenir le premier président venant d’Afrique centrale. Les candidats de Sierra Leone, du Zimbabwe ou d’Ethiopie sont en embuscade.
– L’Occident et l’Asie en arbitres –
Les actionnaires non africains joueront les arbitres.
La France voudrait un président « plus soucieux des intérêts » de l’Afrique francophone, selon son ministère des Finances. Les Etats-Unis, deuxième actionnaire derrière le Nigeria, sont incontournables, comme le Japon et la Chine.
Passée la joute diplomatique, le nouveau chef manoeuvrera la BAD dans un environnement économique bouleversé.
L’Afrique, malgré les conflits, les crises sanitaires (Ebola) et la pauvreté, « est une nouvelle frontière de la croissance mondiale », avec un Produit intérieur brut (PIB) doublé depuis 2000 pour atteindre aujourd’hui quelque 1. 800 milliards d’euros, explique Luc Rigouzzo, fondateur du fonds d’investissement Amethis.
Les capitaux privés affluent en Afrique, les grands fonds anglo-saxons (Carlyle, KKR) s’y développent, et plusieurs pays africains arrivent désormais à se financer directement sur le marché.
Les programmes des candidats à la BAD, sans occulter la pauvreté et le manque d’infrastructures, traduisent ce nouveau pouvoir d’attraction.
La plupart entend diversifier les activités de l’organisme au-delà de son rôle traditionnel de banque du développement, qui prête pour de grands chantiers en se finançant facilement grâce à son excellente réputation, couronnée par la fameuse note « AAA ».
En 2013, la BAD et ses partenaires du Fonds Africain du Développement (FAD) et du Fonds spécial du Nigeria (FSN) ont approuvé 317 opérations, pour 6,2 milliards d’euros.
– En finir avec les « éléphants blancs » –
Le Nigérian Akinwumi Adesina veut « en finir avec les éléphants blancs », expliquait-il récemment à l’AFP en visant ces chantiers somptuaires et inutiles (autoroute sans issue, palais de marbre. . . ), souvent financés par l’aide internationale et construits par des entrepreneurs étrangers, avec de forts relents de corruption.
M. Adesina réclame des « infrastructures intelligentes, plus productives, plus compétitives » et plaide pour dépasser l’échelon national, via un « Google africain », un « marché régional » de l’électricité ou une « Bourse régionale ».
Le Malien Birama Sidibé veut « sortir la banque de sa zone de confort », estimant qu’elle devrait jouer un rôle de « catalyseur de financement, d’intermédiaire » et pas seulement de bailleur traditionnel.
La BAD, selon Kaberuka, « s’enorgueillit parmi toutes les grandes instances financières internationales de la façon transparente ouverte et compétitive dont est élu son chef ».
Le vote se tiendra jeudi à Abidjan. Pour être élu, un candidat doit emporter la majorité des votes de tous les pays membres et la majorité des votes des pays africains. Si cinq tours de scrutin ne suffisent pas, la BAD peut décider d’ajourner et de procéder à un second vote. C’était arrivé en 2005, lors de la première élection de M. Kaberuka.
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