De rares rhinocéros noirs trouvent un nouveau sanctuaire dans le nord du Kenya
Nasha s’est écroulé le premier, les plumes rouges d’une flèche dépassant de son arrière-train. Est ensuite venu le tour de Syrah quand le vétérinaire a tiré avec son fusil hypodermique depuis un hélicoptère volant à basse altitude. Quelques minutes plus tard, le rhinocéros d’une tonne s’est effondré sur le sol, la tête la première, dans un nuage de poussière.
Nasha et Syrah font partie des 5. 000 rhinocéros noirs encore vivants dans le monde, dont 684 au Kenya. Ici, l’ONG Northern Rangeland Trust (NRT), s’attelle à placer des spécimens sur les territoires de communautés locales -samburu, borana et rendille- et sous leur protection, plutôt que dans un parc gouvernemental ou une réserve privée. Permettant ainsi de sauver l’animal et de développer la communauté.
Une fois l’animal assoupi, Batian Craig, conservateur spécialisé dans la sécurité des animaux sauvages, fait vrombir sa tronçonneuse et sectionne la corne de l’animal. Il perce le moignon et installe un petit émetteur radio dans la cavité. Un tube à oxygène est placé dans le museau de Nasha, et des échantillons sanguins sont prélevés. On lui verse de l’eau sur son dos pour le refroidir. Au toucher, la peau du pachyderme parait comme un tapis chaud et humide.
L’endormissement de Nasha, 14 ans, et Syrah, 10 ans, a été le point d’orgue d’années d’efforts pour mettre en place un nouveau sanctuaire pour rhinocéros dans le nord du Kenya, le premier situé sur le territoire d’une communauté et géré par cette communauté.
Ce sanctuaire marque le retour de l’animal à un endroit qui a cessé d’être l’habitat des rhinocéros quand des braconniers y ont tué le dernier spécimen il y a des dizaines d’années.
« La joie de voir sur le sol cette première empreinte de rhinocéros depuis 30 ans? Il n’y a pas de mots pour l’exprimer », confie Ian Craig, directeur de la conservation au NRT et architecte de la relocalisation des rhinocéros depuis les réserves privées de Lewa jusqu’à Sera, à environ 130 km de là.
– Un ancien repaire de bandits –
Pour Reuben Lendira, gérant de Sera et en charge de la sécurité des 21 rhinocéros noirs qui vivront sur 10. 700 hectares de savane clôturée, l’arrivée des animaux permet d’atteindre d’autres objectifs. « Cela crée des emplois et améliore la sécurité », se félicite-t-il.
« Sera était un repaire de bandits. Depuis que nous avons sécurisé les lieux, la situation s’est améliorée pour les populations comme pour les animaux sauvages. Cela permettra également d’accroître les revenus car nous pourrons recevoir davantage de touristes. Les communautés établies autour de Sera verront leur niveau de vie augmenter », a développé M. Lendira.
Sera est l’une des 33 réserves communautaires mises en place par NRT. Ses 59 gardes-forestiers, venus de villages voisins, patrouillent le sanctuaire pour rhinocéros, au sein d’une plus vaste réserve de 345. 000 hectares. Les gardes ici ont le statut de réservistes, ils ont le droit de porter des armes et d’arrêter des suspects.
La journée de Nasha et de Syrah avait commencé comme toutes les autres, avec une lutte territoriale qui leur a laissé la peau lacérée et ensanglantée. Puis l’hélicoptère est apparu au-dessus des savanes d’acacias avec Matthew Mutinda, le vétérinaire du Kenya Wildlife Service (KWS), l’agence de protection de la faune kényane, un fusil anesthésiant à la main.
A la fin de l’opération, chaque rhinocéros a été placé dans une caisse en bois renforcée et chargé à l’arrière d’un camion pour le trajet de quatre heures qui les a menés à leur nouveau foyer.
Cette relocalisation de rhinocéros noirs a été saluée comme étant la preuve du succès du Kenya dans l’élevage de ces animaux en voie de disparition et de sa volonté de leur assurer un espace de vie.
– Risque de mort –
Les 5. 000 derniers rhinocéros noirs au monde sont menacés par la demande asiatique en corne de rhinocéros, qui vaut plus de 60. 000 euros le kilo. En 2011, le rhinocéros noir d’Afrique de l’Ouest, une de ses sous-espèces, a été déclarée éteinte.
« Le problème du Kenya ne se situe pas uniquement dans le braconnage, mais également dans le manque d’espace. Le Kenya aurait besoin d’un nouveau sanctuaire comme celui-ci chaque année », prévient Ian Craig.
Le sanctuaire de Sera est assez grand pour 55 rhinocéros mais en dépit de la barrière, les garder en sécurité demeure un travail à temps plein.
Les gardes-forestiers suivent les animaux où qu’ils aillent. Les émetteurs radio dans leurs cornes envoient leurs positions à un centre de contrôle à Lewa qui est surveillé 24 heures sur 24.
La sécurité d’un rhinocéros coûte environ 780 euros par mois.
Nasha et Syrah devaient rejoindre un groupe mixte de 21 rhinocéros en âge de se reproduire.
Mais la relocalisation de rhinocéros ne se fait pas sans risques: l’un des pachydermes ne s’est pas réveillé après avoir été endormi et deux autres sont morts déshydratés deux jours après être arrivés à Sera, parmi lesquels l’infortuné Syrah.
Les autorités kényanes ont suspendu temporairement l’opération après le déplacement de 13 animaux.
« C’est extrêmement affligeant de voir un rhinocéros mourir, ça vous détruit », confie Ian Craig. « Il y a toujours des risques. Mais on doit bouger les rhinocéros si on veut voir leur nombre augmenter ».
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