Burundi : Kigali, refuge d’opposants, journalistes et militants burundais
En quelques semaines, de nombreuses figures de l’opposition, de la société civile et des médias burundais ont fui au Rwanda le climat pré-électoral délétère dans leur pays. Au risque d’envenimer les relations déjà tendues entre Bujumbura et Kigali, autrefois alliés.
Assis dans un petit café de la capitale rwandaise dans lequel il a désormais ses habitudes, Alexandre Niyungeko, président de l?Union des journalistes burundais, a choisi le Rwanda pour sa proximité géographique et car c?est le pays qu’il connaît le mieux.
« Je suis venu plusieurs fois à Kigali pour des raisons professionnelles », dit-il, confiant se sentir plus « en sécurité » ici.
« C?est un pays assez contrôlé. On voit difficilement nos détracteurs franchir la frontière à l’insu des autorités rwandaises », explique-t-il, assurant avoir quitté son pays en raison de menaces visant sa famille, à l’approche des législatives de lundi et de la présidentielle du 15 juillet.
Les journalistes indépendants burundais étaient déjà dans le collimateur du pouvoir avant le début de la crise politique déclenchée fin avril par la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat.
Depuis, ils disent craindre pour leur vie, comme les poids lourds de la société civile, en pointe dans le mouvement de contestation contre ce nouveau mandat, et certains opposants politiques.
La décision de fuir s’est imposée quand leurs médias ont cessé d’émettre, pendant une tentative de coup d’Etat manquée mi-mai. Les radios indépendantes avaient relayé les messages des putschistes et ont été détruites, et le pouvoir les empêche d’émettre à nouveau.
Un défenseur burundais des droits de l’Homme également réfugié à Kigali explique ce choix par les liens tissés par les populations des deux pays au fil des décennies: « Peu de Burundais n?ont pas de parenté au Rwanda et vice-versa ».
A partir de 1959, année des premiers pogroms anti-Tutsi, des milliers de Rwandais avaient trouvé refuge au Burundi. Ils avaient regagné leur pays après le génocide de 1994 (au moins 800.000 morts, selon l’ONU), quand la rébellion majoritairement tutsi du Front patriotique rwandais de Paul Kagame, l’actuel président rwandais, avait pris le pouvoir.
A l’inverse, en 1972, année d’un massacre ethnique au Burundi, et pendant la guerre civile burundaise (1993-2006), beaucoup de Burundais avaient fui au Rwanda.
Accusations réciproques
Mais le défenseur des droits de l’Homme reconnaît que l’attitude rwandaise face à la crise burundaise actuelle a aussi influencé son choix.
Le président Kagame a adopté une ligne dure, tranchant avec la retenue de ses pairs africains: remettant en question la légitimité de Pierre Nkurunziza, il lui a demandé comment il pouvait rester au pouvoir si son peuple s’y opposait.
Cette prise de position a un peu plus envenimé une relation très tendue depuis 2014, quand des cadavres ligotés étaient mystérieusement apparus à la surface d’un lac séparant les deux pays. La justice burundaise avait affirmé que les corps provenaient du Rwanda, à la fureur de Kigali.
En outre, depuis plusieurs mois, Kigali ne cesse d?accuser Bujumbura d?avoir pactisé avec les rebelles hutu des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), actifs en République démocratique du Congo voisine depuis la fin du génocide de 1994. Les FDLR, qui comptent d’ex-génocidaires, restent la bête noire de Kigali.
Bujumbura reproche en retour à son voisin d’héberger et entraîner des rebelles dans les camps hébergeant des dizaines de milliers de Burundais ordinaires ayant fui leur pays, effrayés par les possibles violences électorales.
Ces Burundais, « nous ne les voyons pas comme des opposants mais des réfugiés », rétorque un officiel rwandais, accusant Bujumbura de chercher des « alibis » au lieu de résoudre ses problèmes.
Journalistes, militants et opposants burundais assurent évoluer librement au Rwanda, pays souvent critiqué en matière de liberté de la presse et d’expression. « On continue à faire des réunions avec la société civile », explique le défenseur des droits de l?Homme.
Plus de 40 journalistes des médias indépendants burundais sont à Kigali. Certains préparent une émission consacrée à l’actualité burundaise, qui sera diffusée régulièrement en direct sur plusieurs radios rwandaises.
« Le public burundais est privé d?information, c?est une façon de contourner » l’absence de médias sur place, explique Patrick Nduwinama, directeur de la radio privée burundaise Bonesha, exilé à Kigali. L?émission permettra « aux Burundais au Rwanda d?avoir des informations de chez eux », précise-t-il, glissant que les ondes rwandaises sont captables dans le nord du Burundi.
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