Centrafrique: Bossangoa, ville coupée en deux entre musulmans et chrétiens

Bossangoa est une ville fantôme. Ses habitants ont fui leur maisons pour se réfugier dans des camps. Deux camps. Les chrétiens dorment autour de l’église. Les musulmans sont installés à 800 mètres de là, à l’école Liberté. Entre les deux, un no man’s land où se propagent ressentiments, rumeurs et accusations.

Centrafrique: Bossangoa, ville coupée en deux entre musulmans et chrétiens © AFP

Centrafrique: Bossangoa, ville coupée en deux entre musulmans et chrétiens © AFP

Publié le 18 décembre 2013 Lecture : 3 minutes.

Il y a d’abord l’immense « camp de l’évêché ». « Spontanément et par vagues, depuis deux mois, 40 000 chrétiens de Bossangoa et des villages alentour se sont rassemblés autour de l’archevêché de la ville, entassés sur seulement quatre hectares », explique un responsable de l’ONG Action Contre la Faim.

Ici, ça grouille de partout. Il y a un petit salon de coiffure improvisé. Des femmes s’affairent derrière leurs machines à coudre. Un adolescent vend des cigarettes. Des hommes préparent de la farine de manioc avec des machines. Beaucoup portent un tee-shirt à la gloire de François Bozizé, le président déposé en mars dernier par les rebelles musulmans de la Séléka.

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Le long de la même route, mais de l’autre côté, un peu plus loin vers le nord, des milliers de musulmans affluent depuis le regain de violences de début décembre, sur le terrain de l’école Liberté. Ils étaient 1. 600 avant les violences du 5 décembre. Ils sont quelque 7. 000 maintenant.

Ici, comme là-bas, beaucoup d’enfants courent entre les bâches des réfugiés. Une femme récite des versées du coran en donnant le sein à son enfant. Le camp est protégé par des soldats de la force africaine. Ils sont à l’entrée, leur kalachnikov posée sur des pupitres d’écoliers. Des Séléka, en treillis mais sans arme ne sont pas loin, cantonnés dans de petites maisons blanches.

Entre les deux camps, il y a une piste en terre rouge, quelques maisons abandonnées. Les humanitaires vont de l’un à l’autre mais les chrétiens évitent d’aller vers les musulmans et les musulmans évitent les chrétiens.

« Là-bas, il y a des armes »

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« C’est triste », dit l’évêque de Bossangoa, Nestor Désiré Nongo Aziagbia, alors que le soleil se couche sur la cathédrale Saint-Antoine de Padoue. « La ville nous appartenait à tous et maintenant nous sommes chacun dans notre coin. L’avenir est compromis ici. Quelle est cette société où on ne peut plus se tolérer? », se demande-t-il.

Rapidement, l’évêque accuse les musulmans. Rien que lundi, des peuls auraient égorgé 24 femmes chrétiennes dans la région, assure-t-il. D’une façon générale, les chrétiens de Bossangoa accusent les Séléka musulmans d’avoir terrorisé les chrétiens en mars dans leur descente vers Bangui pour installer Michel Djotodia à la présidence.

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Les milices chrétiennes anti-balaka auraient alors été formées pour se défendre. « Les fautes sont partagées mais au départ ce sont les Séléka qui ont commencé les pillages et les exactions », dit par exemple Philippe Modompte, une des 54 délégués du camp de l’évêché.

De l’autre côté, l’imam Ismail Nafi reçoit dans une tente de fortune. Il dresse le compte des musulmans tués ces dernières semaines: 557 morts depuis septembre, selon lui, dans les petits villages des alentours de Bossangoa. « Les gens qui ont tué ces musulmans sont en ce moment même à l’évêché, là-bas il y a des armes », pointe-t-il. « Depuis l’arrivée des Français, nous avons perdu tous nos biens. Nos maisons sont incendiées, où est la sécurité? », demande l’imam dans un arabe très local.

Pour lui comme pour la plupart des musulmans, les milices chrétiennes anti-balaka portent la responsabilité du chaos actuel en ayant monté des attaques d’envergure pour se venger de l’arrivée au pouvoir des Séléka.

« Je n’ai jamais vu une situation aussi catastrophique », se désole Seydou Camara, le responsable de l’Unicef de Bossangoa qui navigue entre les deux camps. Normalement le danger vient de l’extérieur. Ici la menace est à l’intérieur de la ville. Dans les camps, il y a des groupes armés, ce qui complique beaucoup notre travail », dit-il.

Un exemple parmi d’autres: « les gens de Liberté » ont peur d’aller se faire soigner à l’hôpital parce qu’il est situé à côté du camp des chrétiens. Et les ouvriers chrétiens qui travaillent sur la camp de l’Unicef, situé près de Liberté, refusent de rentrer seuls.

Depuis un mois un comité de dialogue et de réconciliation a été monté, avec à sa tête l’évêque et l’imam. Il s’est réuni quatre fois, « mais on tourne en rond », tranche l’evêque. « Nous sommes encore dans une logique d’accusation et de contre-accusation », dit-il. « A chaque réunion, les musulmans mettent en avant leur blessure, les chrétiens mettent en avant leur blessure. Et quand on met deux blessures côte-à-côte, il n’y a que du sang qui coule ».

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