Théâtre: le Sud-Africain Brett Bailey remonte aux sources du racisme
Le Sud-Africain Brett Bailey, né en 1967 sous l’apartheid, présente à Paris deux spectacles chocs, une installation saisissante qui reproduit les « zoos humains » de l’époque coloniale, et un cabaret délirant, ouvert à toutes les musiques de la nation arc-en-ciel.
Deux spectacles aux antipodes: l’un, « The House of the Holy Afro » est une sorte de night club, un condensé du « melting pot sud-africain », explique-t-il, « avec du gospel des townships, des chants spirituels chamaniques, de la pop ++chewing gum bubble gum++ et des drag queens ».
L’autre, « Exhibit B », est une installation glaçante: douze tableaux vivants mettent en scène des « indigènes » tels qu’ils étaient montrés à l’époque dans les foires et les expositions coloniales.
« La politique traverse toute mon oeuvre », explique Brett Bailey, de passage à Paris pour les deux événements. « Exhibit B remonte aux racines du racisme ordinaire ».
Le public admis au compte-goutte dans « Exhibit B » dans un silence de mort reçoit comme un coup de poing la révélation des atrocités du colonialisme, incarnées par des êtres de chair et de sang. A Avignon, où l’installation a été montée en juillet dernier, des spectateurs évoquaient leur « honte » face à un passé colonial largement méconnu.
Une femme noire presque entièrement nue fixe le spectateur du regard: elle incarne la « Vénus hottentote », Saartjie Baartmann (1789-1815), exposée en Angleterre puis en France dans les foires, morte dans la misère et disséquée par le scientifique Georges Cuvier, qui voit chez elle la preuve de l’infériorité de certaines races. Le moulage de son corps et son squelette sont restés exposés au Musée de l’Homme à Paris jusqu’en 1974, et ce n’est qu’en 2002 que ses restes ont été restitués à l’Afrique du Sud.
Premiers camps de concentration
Aucun pays européen n’est exempt d’atrocités. Les Allemands ont ainsi mis en place au début des années 1900 les premiers camps de concentration en Namibie pour enfermer les Héréros ? L’installation met en scène des femmes contraintes de faire bouillir les crânes de leurs codétenus décapités. Les crânes « nettoyés » étaient envoyés dans les laboratoires, comme celui du généticien allemand Eugen Fischer dont la théorie de l’hygiène raciale a inspiré les nazis.
L’installation ne se cantonne pas au passé: elle met aussi en scène des migrants d’aujourd’hui, morts pendant leur périlleux voyage ou pendant leur expulsion.
Pour Brett Bailey, le racisme prend racine dans l’époque coloniale, « comme ce qui se passe en France, où la ministre de la Justice est comparée à un singe », souligne-t-il.
« Ce qui est intéressant, c’est d’avoir les deux spectacles sur le même site », ajoute-t-il. « Dans Exhibit B, les noirs sont des victimes tandis que dans House of the Holy Afro, ils ont le contrôle sur scène, en dehors de tout stéréotype européen et ils font la fête ».
L’artiste sud-africain salue la vitalité de la scène sud-africaine: « le hip hop est un phénomène énorme en ce moment », dit-il. Mais il pointe l’absence de soutien aux artistes, qui le contraint à créer exclusivement à l’étranger. « Tous les deux ans, je parviens à monter un de mes spectacles en Afrique du Sud ».
L’état de la nation Arc-en ciel « n’incite pas à l’espoir », soupire-t-il, évoquant « les deux hontes que sont la détérioration de l’éducation et le peu de transformation économique » ainsi que « la corruption généralisée ». « Il y a 20 ans nous avions Mandela. Il n’y a pas de figure aujourd’hui pour mettre une nouvelle vision sur la table ».
– « House of the Holy Afro », dans le cadre du Festival d’Automne, 19 au 21 novembre Centquatre à Paris.
– « Exhibit B » 25 au 27 novembre au Centquatre puis à Strasbourg du 3 au 7 décembre, au Festival d’Edimbourg du 8 au 25 août et au Barbican de Londres du 23 au 27 septembre 2014.
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