Nigeria: le photographe Samuel Fosso, autoportrait de « l’empereur d’Afrique » en Mao
Samuel Fosso, dont les autoportraits ont rejoint les collections de grands musées européens et ont fait de lui un des photographes africains les plus cotés, expose pour la première fois au Nigeria, la patrie de sa mère, où il a grandi en pleine guerre du Biafra.
« Je suis très ému d’être ici », a reconnu le photographe camérouno-nigérian, âgé de 51 ans, qui présentait la semaine dernière à Lagos sa dernière série, intitulée « L’empereur d’Afrique », en première mondiale dans le cadre de la troisième édition de Lagos photo, un festival annuel qui rassemble de grands noms de la photographie — notamment cette année le Britannique Martin Parr et l’Espagnole Cristina de Middel.
« Quand j’ai évoqué le fait de faire venir Samuel Fosso, tout le monde m’a dit ‘tu t’y prends trop tard’, ou ‘il est trop connu’ », se souvient Azu Nwagbogu, le fondateur de Lagos Photo.
« Et puis je l’ai contacté via Facebook, et il m’a parlé en igbo, j’étais choqué! J’ignorais toute cette partie de son histoire avec le Nigeria ».
Un an de préparation
Pour réaliser ces cinq autoportraits de lui travesti en Mao Tse-Toung, à travers lesquels l’artiste s’interroge sur les relations entre la Chine et l’Afrique, il a fallu près d’un an de préparation à Samuel Fosso, avec un directeur de production. Et le jour du shooting, à Paris, une dizaine de personnes –maquilleurs, techniciens, costumier? s?activaient autour de lui.
On est loin du studio « National » de Bangui, en Centrafrique, où Samuel Fosso a commencé à se mettre en scène et à se photographier avec les fins de pellicule de ses clients, il y a tout juste 13 ans.
« Mais déjà à l’époque, c’était de la grosse production », estime le galeriste Jean-Marc Patras, son représentant exclusif depuis 2001: « Déjà, dans les années 70, Samuel ne laissait rien au hasard, ni le maquillage, ni les costumes, ni l’éclairage. . . «
De son enfance, Samuel Fosso n’a aucune photo. Mais il garde à l’esprit des images traumatisantes, celles de la guerre du Biafra, qui a fait près d’un million de morts, lors de la sécession de cette province du sud-est du Nigeria, entre 1967 et 1970.
La guerre du Biafra
A cinq ans à peine, Samuel a perdu sa mère et il a trouvé refuge dans la forêt, avec ses grands-parents, tous deux igbo, l’ethnie au centre de la guerre du Biafra.
« Dieu merci, j’ai une constitution solide », dit-il avec pudeur. De toute sa famille, il est le seul enfant de son âge à avoir survécu. Mais il n’a pas oublié les corps déchiquetés et carbonisés, le ventre et les pieds difformes des enfants atteints par le kwashiorkor. Et la faim.
A dix ans, Samuel quitte Ebunwana Edda, son village nigérian, et ses grands-parents, pour aller travailler dans la cordonnerie de son oncle, dans la capitale centrafricaine.
Trois ans plus tard, en 1975, il y ouvre son premier studio photo, avec pour devise: « Avec Studio National, vous serez beau, chic, délicat et facile à reconnaître ». Après avoir fermé boutique, le soir, il se fait beau devant l’objectif.
S’inspirant de coupures de magazines, Samuel Fosso imite ses idoles, des musiciens noirs américains et africains. Il s’achète une paire de bottes en cuir bicolores, à talons, pour ressembler au chanteur camérouno-nigérian Prince Nico Mbarga, dont le tube « sweet mother », aux airs de High Life, est sur toutes les radios.
Ces photos, il les fait pour lui, pour laisser une trace à ses futurs enfants, et pour sa grand-mère maternelle, restée au Nigeria, qui lui a répété sans cesse dans son enfance qu’il était « le plus beau du village ».
Jusqu’à ce jour de 1993 où le photographe français Bernard Descamps, à la recherche de talents à exposer lors des premières Rencontres Photographiques de Bamako, débarque dans son studio de Bangui, rebaptisé « Convenance ».
Séduit par les autoportraits, Descamps demande à repartir à Paris avec les négatifs. Près d’un an plus tard, Samuel Fosso reçoit un billet Air Afrique pour Bamako. Il y gagnera le premier prix.
Aujourd’hui, les autoportraits de Samuel Fosso ont intégré les collections de la Tate Modern, à Londres, du Centre Georges Pompidou et du musée du Quai Branly, à Paris.
Le riche entrepreneur congolais Sindika Dokolo, grand collectionneur d’art contemporain africain, lui a déjà acheté trois séries d’autoportraits. Parmi elles, « African Spirits », un hommage au grandes figures du panafricanisme et de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, qui se vend pas moins de 100. 000 euros.
Mais Samuel Fosso n’a pas quitté le studio « Convenance » du quartier Miskine de Bangui. Malgré le succès, et malgré les conditions de vie difficiles, en Centrafrique, qui traverse une crise politique majeure. « C’est là-bas que j’ai mes habitudes », dit-il simplement.
S’il quitte Bangui, ce ne sera pas pour l’Europe, mais pour son village du Nigeria, d’où est originaire son épouse Nenna, avec qui il a quatre fils.
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