La nouvelle jeunesse des vins sud-africains
Pendant des décennies, le vin sud-africain est resté le lointain cousin un peu rustre des grands crus de l’Ancien monde, jusqu’à ce que de jeunes viticulteurs se mettent en tête de lui donner une identité, avec l’espoir de séduire les amateurs les plus avisés de la planète.
Installés dans la région du Cap occidental, dans la vallée d’Hemel en Aarde (Paradis sur Terre, en Afrikaans) battue par les vents, Chris et Suzaan Alheit travaillent à produire du vin très haut de gamme, avec une ambition affichée: « Ce dont l’Afrique du Sud a besoin, ce que nous commençons à faire maintenant, c’est d’une identité », dit Chris.
Pendant longtemps, les viticulteurs ont pensé que le « pinotage » (mariage de Pinot Noir et d’Hermitage), créé en Afrique du Sud dans les années 1920, suffirait à atteindre ce but. Ce cépage local offre en effet le fruité profond d’un Pinot. Mais les critiques lui reprochent ses bouffées de caoutchouc brûlé.
« Il avait été mal planté, et mal préparé », assure Chris, qui préfère remonter plus loin dans l’histoire du vignoble sud-africain pour y trouver des cépages véritablement africanisés, comme le Chenin.
« Le Chenin est en Afrique du Sud depuis environ 1656, c’est à dire 80 ans avant la première trace écrite de présence du Cabernet Sauvignon dans le Médoc », dit-il fièrement. « Là, nous avons des variétés de vins du Cap réellement authentiques ».
Chris espère que le Chenin — planté également dans la Loire (ouest de la France) mais peu répandu ailleurs — pourra donner à l’Afrique du Sud ses lettres de noblesse, comme le Malbec l’a fait pour l’Argentine.
Prisés par Napoléon Bonaparte, Charles Darwin ou encore le roi de Prusse Frédéric le Grand, les vins produits à l’extrême pointe sud de l’Afrique, dans un climat comparable à celui de la Méditerranée, ont connu leurs heures de gloire aux XVIIIe et XIXe siècles.
Une apogée suivie d’une brutale régression
Mais cette apogée a été suivie d’une brutale régression, due aux maladies de la vigne, aux guerres et aux soubresauts de l’histoire. Jusqu’à l’époque de l’apartheid (1948-1994), et de l’embargo international sur toutes les exportations d’Afrique du Sud.
Les producteurs locaux, situés dans l’arrière pays du Cap, se sont alors majoritairement repliés sur un marché intérieur qui leur réclamait des vins bon marché et bas de gamme. Ils ont perdu le contact avec les techniques et les goûts qui continuaient d’évoluer dans le reste du monde.
A l’avènement de la démocratie en 1994, quelques vignobles tentaient encore de faire des vins de qualité. Mais la plupart étaient « durs, taniques, acides et astringents », selon Mark Kent, du vignoble aujourd’hui respecté de Boekenhoutskloof.
En retard, l’Afrique du Sud a regardé de loin les autres producteurs du « Nouveau monde », — Australie, Argentine, Chili, Nouvelle-Zélande ou Etats-Unis — rafler les récompenses et inonder les marchés.
La maladie de l’enroulement et d’autres virus affectaient alors la qualité du raisin. « Il était souvent physiquement impossible de faire un vin de classe mondiale », admet Christo Deyzel, sommelier au restaurant Camphor’s, du domaine de Vergelegen.
C’est lorsque les exportations ont repris et que des capitaux frais sont arrivés, après la fin de l’apartheid, que les vieilles vignes malades ont été arrachées et remplacées par des pieds sains.
Les viticulteurs, qui croyaient que n’importe quel domaine pouvait produire tous les types de vin supérieur, ont découvert qu’il fallait au contraire planter les bons cépages aux bons endroits.
C’était il y a vingt ans. Les producteurs récoltent aujourd’hui les fruits de leurs bonnes décisions.
L’Afrique du Sud, écrivait récemment le critique international Tim Atkin, « est le plus passionnant des pays producteurs de vin de l’hémisphère Sud ». Neal Martin, le grand critique britannique, a pour sa part accordé une note exceptionnelle de 96/100 au vin « Cartology » de Chris Alheit en 2011.
Mark Kent, de Boekenhoutskloof, est optimiste: « Les dix prochaines années vont probablement être les plus passionnantes pour le vin sud-africain. Je pense que les gens nous regardent maintenant comme une alternative en terme de vins de qualité ».
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