Au coeur d’Abidjan, un village d’artistes « résiste » aux soubresauts ivoiriens
Le « village Kiyi », incontournable lieu de spectacles et centre de formation artistique à Abidjan, « résiste » et se projette dans l’avenir, après avoir subi de plein fouet les soubresauts d’une décennie de crise politico-militaire en Côte d’Ivoire.
« Maintenant on ne voit plus les jeunes avec les coiffures bizarres qui allaient et venaient tout le temps », dit à l’AFP Aline Messou, une voisine du Kiyi.
Les salles et les allées du « village », accroché depuis 1985 à une côte dans le quartier chic et verdoyant de Cocody, n’accueillent plus en effet des centaines de pensionnaires. Seule une petite trentaine de personnes fréquente quotidiennement ces bâtiments aux façades défraîchies.
Seul, devant l’entrée, un orchestre en train de répéter crée un peu d’animation.
Sous la férule de la « reine-mère » Werewere-Liking, à la fois écrivain, chanteuse, peintre et chorégraphe, le centre, au mode de vie communautaire, a formé en près d’une trentaine d’années plus de 500 jeunes de différentes nationalités aux métiers artistiques, de la danse à la musique en passant par le théâtre.
Mais la longue décennie de tourmente ivoirienne, qui a culminé avec la crise postélectorale de 2010-2011 aux quelque 3. 000 morts, a provoqué le déclin du fameux village, autofinancé par ses spectacles et formations. Les spectateurs se sont faits de plus en plus rares – notamment en raison du départ d’expatriés fuyant les troubles dans les années 2000 – et les pensionnaires aussi.
Pourtant le Kiyi « résiste », affirme Werewere-Liking. « Nous sommes en train de rebâtir et donc nous avons un projet de relance complète de nos activités ». La sexagénaire jette un oeil aux ouvriers qui achèvent de refaire un bâtiment emporté par le vaste chantier de construction d’un échangeur qui a mordu sur le village et qui – comble de malchance – en complique grandement l’accès.
flamboyante « reine-mère »
Avec ses grosses lunettes et ses longs dreadlocks retenus par un foulard, l’artiste, panafricaine convaincue, n’a pas, en ce jour pluvieux de mai, l’allure flamboyante qu’on lui connaît dans tout Abidjan – maquillage spectaculaire, innombrables colliers et bracelets -, alors qu’elle est assise sous une véranda d’où elle voit venir les visiteurs empruntant le chemin tortueux menant au centre.
« Malgré la crise, le village a tenu parce que nous avons misé sur les infrastructures: le musée (où sont exposés tableaux, sculptures et autres objets, ndlr), est là, il y a des gens qui viennent visiter. Il y a une salle de théâtre qui continue d’aider beaucoup de gens à présenter leurs créations », indique-t-elle avec l’accent de son Cameroun natal.
Depuis peu, Landry Louhoba, une jeune chorégraphe passionnée, dispense des cours de danse à de jeunes enfants, en attendant les classes prévues pour les vacances scolaires. Objectif à terme: rouvrir le centre de formation, qui a périclité. « C’est notre souhait que d’autres enfants viennent aussi en profiter », explique l’artiste, elle-même sortie du centre.
Le Kiyi rayonne également hors de Côte d’Ivoire en participant à des festivals en Europe ou ailleurs. Après Rome récemment, l’équipe prépare des spectacles en Colombie pour juillet. « On est en train de préparer des créations: nouveaux albums, nouveaux spectacles », lance la « reine-mère » avec enthousiasme, en montrant son mari Pape Gnépo, le chef d’orchestre, travaillant sur un nouveau répertoire.
Beaucoup d’ex-pensionnaires du village sont aujourd’hui « les ambassadeurs du Kiyi », glisse Werewere-Liking, qui ne cache pas son admiration pour Dobet Gnahoré, chanteuse ivoirienne révélée ces dernières années et sacrée aux Grammy Awards en 2010.
Elle avoue « une grande tendresse » pour la jeune femme, arrivée enfant au village et « qui a vraiment fait un bon chemin ». « Je suis très fière d’elle », dit la maîtresse des lieux à propos de la plus célèbre de ses élèves. « Mais je suis fière de tous ».
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