En Égypte, le « vin des Pharaons » cherche encore à s’imposer
Sous un soleil de plomb, des hommes et des femmes, cheveux dissimulés sous un foulard, cueillent les grappes de Merlot qu’ils vont presser pour produire le « vin des Pharaons »: nous ne sommes pas en France mais en Égypte, pays musulman et peu réputé pour la qualité de ses vins.
Or depuis le début des années 2000, les deux uniques domaines vinicoles égyptiens ont fait le pari fou de changer cette donne.
« Ce qu’on a fait avec le vin égyptien, c’est une très belle histoire », clame fièrement Labib Kallas, directeur de production de l’un d’eux, Kouroum of the Nile, l’autre étant le Domaine de Gianaclis.
Jean-Baptiste Ancelot, fondateur du projet Wine Explorers, premier recensement mondial des pays producteurs de vin, estime qu’on peut savourer aujourd’hui en Égypte quelques vins « qualitativement bons, agréables et frais », après des décennies pendant lesquelles l’unique entreprise étatique produisait un vin de mauvaise qualité, raillé par l’élite locale et les expatriés.
Les restaurants huppés du Caire n’ont d’ailleurs d’autre choix que de proposer du vin égyptien. Dans une société quelque peu conservatrice qui voit généralement l’alcool d’un mauvais ?il, des droits de douanes rédhibitoires de 3.000% empêchent l’importation de vins étrangers.
En cette fin de juillet, M. Kallas inspecte les vendanges sur 170 hectares de vignes plantées sur d’anciens terrains désertiques au nord du Caire.
Depuis le début des années 2000, Kouroum of the Nile et le Domaine de Gianaclis veulent ressusciter la viticulture égyptienne en important des cépages de France, d’Italie, mais aussi d’Espagne, Merlot, Syrah, Viognier, Vermentino…
L’art de la viticulture, connu des Pharaons 3.000 ans avant notre ère, s’est en effet développé sous la colonisation britannique, avant de tomber en désuétude avec le coup d’Etat militaire de 1952 contre la monarchie.
– Défi caniculaire –
Aujourd’hui, le marché offre une dizaine de vins déclinés en rouge, blanc ou rosé.
« On a planté beaucoup de vignes, on fait très attention à la qualité », assure Sébastien Boudry, œnologue français du Domaine de Gianaclis, à Abou al-Matamir, une bourgade à 170 km au nord-ouest de la capitale. L’entreprise a été achetée en 2002 par Heineken après sa nationalisation dans les années 1960.
Les défis ne manquent pas. Il faut gérer les températures caniculaires et compenser l’absence quasi-totale de pluie par des systèmes d’irrigation sophistiqués.
« Quand il fait plus de 50 degrés, la vigne ne pense qu’à survivre, pas à produire des sucres ou des substances aromatiques », souligne M. Boudry, qui gère 230 hectares de vignes au nord du Caire.
Les efforts semblent avoir porté leurs fruits: certains vins locaux ont été primés à l’international et remplissent agréablement leur fonction. Ce ne sont « pas forcément des grands vins, mais des vins de plaisir immédiat », souligne M. Ancelot, qui s’est rendu en 2014 chez Gianaclis.
« Les blancs sont les plus réussis. On arrive à avoir des vins à la fois frais et très fruités, de type fruits exotiques, pêche, ananas, et un peu fruit de la passion », estime l’expert.
– En cubitainer pour les hôtels –
Chez Kouroum of the Nile, qui assure que son raisin et son vin sont bio, la fierté de la maison c’est le Beausoleil blanc, le seul fabriqué à partir d’une variété de raisin 100% égyptienne -le Bannati- et récompensé en 2016 par une médaille d’argent au concours mondial de Bruxelles.
L’entreprise produit annuellement plus de deux millions de litres: entre 700.000 et 800.000 bouteilles pour les particuliers, le reste -plus des deux-tiers- étant distribué aux établissements hôteliers en cubitainer.
Mais les touristes ayant quasiment déserté l’Égypte en six années au cours desquelles se sont succédé révoltes, répressions sanglantes et attentats jihadistes, l’industrie du vin a du mal à encaisser ces soubresauts.
« Le tourisme absorbe plus de 70% de la production, si les touristes ne reviennent pas, on va devoir envisager l’exportation », concède Shaker Nawal, directeur marketing.
Il est pourtant difficile d’envisager que cette « industrie de niche » puisse concurrencer les poids lourds occidentaux ou même de la région, comme le Liban, qui produit plus de huit millions de bouteilles par an et en exporte le tiers.
« Cela restera un vin de curiosité, il ne faut pas rêver. Un Parisien qui demande dans un restaurant un vin égyptien plutôt qu’un vin français ou espagnol, il faut vraiment qu’il soit curieux », ironise M. Kallas, un Libanais installé en Égypte.
Il pense toutefois que son vin a de l’avenir en Asie.
« Quand je suis arrivé, on nous a dit qu’il y avait +le vin maux de tête+, et +le vin passable+, mais pas de bon vin », s’amuse l’ambassadeur des Pays-Bas Gerard Steeghs, croisé sur les bords du Nil dégustant entre amis le rosé égyptien Omar Khayyam.
« Aujourd’hui, on a toujours le +vin maux de tête+, mais on a aussi du bon vin. La production s’améliore ».
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