Le cinéma africain en quête d’industrie
Le cinéma africain se débrouille « avec les moyens du bord » pour exister mais, faute de ressources, tarde à développer une industrie qui lui ouvrirait plus grand les portes des festivals internationaux comme Cannes.
Son film, « Un homme qui crie », lui avait valu en 2010 le Prix du jury au festival de Cannes. Cette année, le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun portera encore à lui seul les rêves de Palme d’or de l’Afrique. « Grigris » est en projection officielle mercredi.
Mais peu d’Africains verront un jour son film en salle. A travers le continent, les cinémas n’ont cessé de fermer boutique ces dernières années, cédant la place à des commerces ou des lieux de culte. La plupart du temps, les films ne sont vus que via la télévision, internet ou les DVD piratés.
Cette pénurie de salles illustre l’état du 7e art en Afrique. En dehors de quelques pays mieux lotis comme le Nigeria et l’Afrique du Sud, le cri du coeur est partout le même: le cinéma africain a cruellement besoin de forger son industrie.
« Notre cinéma a de l’avenir avec une vague émergente d’acteurs et de réalisateurs talentueux! Tout ce qu’il nous faut et dont nous manquons fort reste le soutien de nos autorités », explique à l’AFP la comédienne ivoirienne Emma Lohoues. Elle a été révélée par « Le mec idéal », une comédie romantique de son compatriote Owell Brown qui s’est taillé un joli succès dans les festivals en 2011.
Même constat en République démocratique du Congo. « Ceux qui essaient de produire des choses se débrouillent avec les moyens du bord bien qu’il n’y ait aucun soutien, aucun financement », raconte le réalisateur Ronnie Kabuika. Il rêve d’ »une structure étatique, peut-être intégrée au ministère de la Culture, pour accompagner le cinéma et les créateurs ».
Beaucoup regardent avec envie le système mis en place au Maroc, inspiré d’un dispositif français. En février, lors de la dernière édition du Fespaco, le grand festival du cinéma africain de Ouagadougou, le directeur du Centre cinématographique marocain a fait des jaloux en présentant le « fonds de l’avance sur recettes » instauré dans les années 2000. Doté de 6 millions d’euros par an, il permet de réaliser « autour de 25 » films marocains chaque année.
Films « micro-ondes »
Au Rwanda, une Commission du film est en passe d’être créée, mais ses contours restent vagues. Or, la nécessité de produire ses propres images y prend un tour crucial: les Rwandais cherchent de plus en plus à prendre la suite des productions étrangères venues faire des films sur le génocide des Tutsi de 1994.
« Nous devrions oser faire des films à travers nos propres yeux », affirme le cinéaste Eric Kabera, qui a réalisé en 2001, en collaboration avec le Britannique Nick Hughes, « 100 Days », premier long-métrage sur le génocide.
Mais l’immense succès de « Nollywood », les films produits au Nigeria, montre que l’Afrique peut imposer ses images, ses codes, ses stars.
Un symbole: l’actrice nigériane Omotola Jalade-Ekeinde (« OmoSexy » pour ses fans) a été récemment classée par le magazine américain Time parmi les 100 personnes les plus influentes au monde.
Tournés en vidéo et enracinés dans le quotidien le plus dur, jusqu’à la caricature (violence, corruption. . . ), les films réalisés depuis une vingtaine d’années « ont placé le Nigeria sur la carte du monde et redéfini le cinéma africain », s’enthousiasme le réalisateur Mahmood Ali-Balogun. Des films « sur nous, par nous et pour nous », dit-il.
Certes, admet le producteur et cinéaste Zack Orji, il y a encore un manque de « professionnalisme, particulièrement dans les scénarios ».
Mais, assure Mahmood Ali-Balogun, « Nollywood », qui s’exporte sur le continent grâce aux DVD et aux chaînes privées, « s’améliore » et en finit peu à peu avec les « films micro-ondes », tournés à la va-vite, qui ont fait sa réputation.
Le triomphe de « Nollywood », avec ses centaines de films produits chaque année, est d’autant plus remarquable que l’Etat fédéral n’y est pas pour grand-chose. En début d’année, le président nigérian Goodluck Jonathan a toutefois annoncé une subvention de trois milliards de nairas (20 millions de dollars) à l’industrie locale. Mais un certain flou demeure sur cette aide.
L’Ivoirien Owell Brown, jeune réalisateur du « Mec idéal », retient en tout cas que le cinéma nigérian a su mettre en place « une économie rentable et viable », mais aussi « créer des stars ». Or, « les stars entraînent avec elles le public. . . «
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