Au Kenya, le téléphone mobile se transforme en banquier
Il y a six mois, Jane Adhiambo Achieng se voyait refuser un modeste prêt d’une banque kényane — 200 euros à peine — pour développer son étal de fruits et légumes. Ses revenus étaient trop faibles.
C’est finalement auprès d’un nouveau service de prêt que cette femme de 42 ans, au chiffre d’affaires de quelque 400 euros par mois, a trouvé les ressources financières nécessaires à son petit commerce de rue: une application téléphonique appelée M-Shwari.
M-Shwari est une nouvelle plate-forme de service financier, qui offre aux clients du premier opérateur téléphonique kényan Safaricom la possibilité d’ouvrir des comptes-épargne ou encore d’emprunter par le seul biais de leur téléphone portable.
M-Shwari est une extension d’un service déjà existant, M-Pesa (M pour mobile, Pesa pour argent en swahili), qui permet depuis 2007 aux détenteurs de mobiles (70% de la population kényane) d’envoyer et recevoir de l’argent, ou de payer des factures sans passer par le circuit bancaire.
Selon la Banque centrale kényane, 12 millions de Kényans au moins — sur une population de quelque 42 millions d’habitants — n’ont encore pas accès à un compte bancaire. L’idée est, avec M-Shwari (littéralement « pas de tracas »), de leur étendre la palette de services financiers aux prêts ou à l’épargne.
« Nous nous sommes toujours demandé comment développer M-Pesa. Nous savions qu’il y avait une limite à casser pour atteindre une nouvelle frontière, » explique Nzioka Muita, responsable communication chez Safaricom.
Des solutions bancaires pour le secteur informel
A travers sa nouvelle plate-forme, Safaricom explique que ses clients peuvent à tout moment ouvrir un compte bancaire virtuel, y placer ou retirer leur épargne et bénéficier de micro-crédits avec simplement 100 shillings (un peu moins d’un euro) sur ce compte.
« C’est un produit pour quiconque pense qu’un service bancaire ne devrait pas être source de tracas. Pas de formulaire à remplir, pas besoin de se déplacer dans une succursale. Tout ce que vous devez faire, c’est +clic, clic, clic+ », poursuit M. Muita.
Les prêts doivent être remboursés en un mois, avec un taux d’intérêt de 7,5% — bien inférieur à celui pratiqué par les banques traditionnelles.
La nouvelle application a rencontré un succès immédiat: dès le premier jour de l’opération fin 2012, 70. 000 comptes ont été ouverts.
« Jusqu’ici, personne dans le secteur bancaire traditionnel n’avait pensé à mettre en place une telle idée, » commente Tiberius Barasa, un expert économique à l’Institut kényan d’analyse et de recherche politique.
« Je suis sûr que quelques banquiers surveillent M-Shwari pour voir si le service représente une menace potentielle à leur activité, » poursuit-il.
Safaricom contrôle quelque 70% du marché de la téléphonie mobile kényane, avec environ 19 millions d’abonnés. 15 millions d’entre eux détiennent déjà un compte M-Pesa. Et à lui seul, le service M-Pesa voit transiter plus de 50 millions de dollars (38 millions d’euros) par jour au Kenya.
Safaricom avait lancé M-Pesa sans partenaire bancaire. Pour M-Shwari, l’opérateur s’est adossé à une banque privée kényane — la Commercial Bank of Africa (CBA), détenue en majorité par la famille du nouveau président kényan Uhuru Kenyatta. La CBA apporte son expertise et pourrait bien, disent les experts, prendre elle-même de l’envergure grâce à ce partenariat.
Mais les analystes prédisent tout de même que les principaux bénéficiaires de ce nouveau service seront toutes les personnes jusqu’ici qualifiées d’insolvables, en raison de leurs maigres revenus, ou les populations vivant dans des régions reculées, sans services bancaires.
« Cela va fortement changer nos vies, » estime Abbas Godana, professeur dans un lointain district de l’est du Kenya, celui du Fleuve Tana. « On peut accéder au crédit de n’importe où dans le pays. On n’a plus besoin de parcourir des kilomètres jusqu’à notre banque pour remplir des papiers et attendre qu’un responsable approuve le prêt ».
Le village de M. Gadana, Cha Mwana Muma, est situé à une trentaine de kilomètres du plus proche centre commercial et de la plus proche banque du coin. Dans cette région côtière pauvre, où les routes sont régulièrement impraticables, effectuer une telle distance peut prendre une journée entière.
En février, trois mois après son lancement, M-Shwari enregistrait déjà pour plus de 235 millions de dollars de transactions (180 millions d’euros). 1,6 million d’utilisateurs avaient déjà eu recours à un prêt ou effectué un dépôt.
M-Shwari n’est pas totalement un produit pionnier: une compagnie de télécoms concurrente, Bharti Airtel, a lancé un service similaire avant Safaricom l’an dernier. Mais l’impact n’a pas été le même.
« Safaricom a l’avantage du nombre » d’abonnés, résume M. Barasa.
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