Nigeria: la récente attaque fait craindre des tensions dans le Delta du Niger
Des hommes munis de AK-47, prêts à tirer sur un ex-militant dans les marécages, et qui ouvrent le feu sur des policiers: tels sont les derniers stigmates des tensions sous-jacentes dans le Delta du Niger, d’où provient une grande partie du pétrole nigérian.
L’attaque du 5 avril a fait 12 morts parmi les forces de l’ordre. Les assaillants se sont mis à tirer depuis une jetée avant que d’autres hommes armés n’arrivent à bord de deux bateaux pour abattre les policiers, dont certains se sont jetés à l’eau, relate la police.
Selon les autorités nigérianes, la cible de cette attaque était un des anciens leaders de la rébellion armée devenu conseiller du gouvernement local, escorté ce jour-là dans la mangrove par les forces de l’ordre.
« Ils ont été dépassés », reconnaît Kingsley Omire, commissaire de police de l’Etat de Bayelsa (Sud), où l’attaque a eu lieu, une semaine plus tard dans son bureau de Yenagoa.
Cet épisode est une nouvelle preuve des problèmes sous-jacents, non réglés lors de l’accord d’amnistie signé en 2009 pour mettre un terme à des années de violences dans le Delta du Niger.
L’accord, qui a permis au Nigeria de retrouver son statut de premier producteur de pétrole du continent africain, s’est fait principalement à travers des sommes d’argent versées aux anciens militants armés, mais il n’a pas réglé les problèmes plus profonds de corruption et de chômage dont souffre la région.
Pour de nombreux experts, ces problèmes vont finir par rejaillir et la récente attaque est un exemple des nouveaux accès de violence que cela pourrait provoquer. Avant l’amnistie, les militants, qui disaient se battre pour une meilleure répartition des revenus du pétrole, ainsi que des bandes criminelles, s’en prenaient régulièrement aux installations pétrolières et ont effectué de nombreux enlèvements dans le Delta.
Un regain de violence dans la région serait dévastateur pour le Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique, où les forces de l’ordre sont déjà occupées à contrer une insurrection islamiste sanglante dans le centre et le nord du pays. Un groupe d’experts constitué par le président Goodluck Jonathan est en train d’étudier la possibilité ou non d’une offre d’amnistie aux islamistes également.
L’industrie pétrolière représente 80% des revenus de l’Etat et la quasi-totalité des revenus à l’exportation.
« Depuis le premier jour, cette amnistie a été une paix des cimetières (. . . ) en ce sens où les gens ne parlaient pas mais il y avait un problème », estime Esueme Dan-Kikile, avocat à Yenagoa. M. Dan-Kikile a travaillé sur des questions de lutte contre la corruption avec le bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime, et compte d’anciens militants mécontents parmi ses clients.
« Ma prédiction est que quand cette amnistie va prendre fin, il va y avoir une escalade de la violence dans la région, parce que cette amnistie ne peut certainement pas durer pour toujours », ajoute-t-il.
Le Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (MEND), principal groupe armé opérant dans la région, est devenu presque inactif depuis l’amnistie, la plupart de leurs chefs ayant accepté cet accord.
Mais dans les jours qui ont précédé l’attaque du 5 avril, un communiqué signé du MEND a menacé de mener de nouvelles attaques, à la suite de la condamnation à 24 ans de prison pour terrorisme d’un de ses anciens chefs, Henry Okah, en Afrique du Sud.
Dans un autre communiqué, la semaine dernière, le MEND a revendiqué l’attaque contre la police. Ces communiqués ont été accueillis avec scepticisme. « Pour ainsi dire, le MEND est mort et cela fait un moment », a écrit la société norvégienne de sécurité Bergen Risk Solutions suite à la dernière attaque.
D’anciens chefs de l’organisation ont également adressé un message aux journalistes locaux pour discréditer les soi-disant communiqués du MEND.
Selon M. Omire, il s’agissait d’un règlement de compte parce que les anciens disciples de l’ex-leader militant, dont le vrai nom est Kile Selky Torughedi mais que tout le monde appelle par son nom de guerre, « Young Shall Grow », considèrent que celui-ci ne leur a pas distribué correctement l’argent de l’amnistie.
Les assaillants ont cru qu’il était à bord du bateau sur lequel ils ont ouvert le feu, mais l’ancien militant était dans une autre embarcation du convoi et a pu arriver indemne à l’enterrement de sa mère, a relaté M. Omire.
Selon le commissaire de police, « plus de neuf » bateaux escortaient l’ex-militant au moment de l’attaque. Le bateau visé par les balles était à la traîne à cause de problèmes de moteur.
Young Shall Grow a été récemment nommé conseiller sur « la sécurité des voies navigables » auprès du gouverneur de Bayelsa, une information confirmée par l’attaché de presse du gouverneur, Daniel Iworiso-Markson.
Malgré cette attaque, M. Iworiso-Markson continue à penser que le gouverneur a fait le bon choix en engageant Young Shall Grow comme consultant, pour sa connaissance des militants et du terrain.
« L’amnistie ne peut pas régler les problèmes en un jour », dit-il. « Je pense qu’à beaucoup d’égards, nous sous-estimons l’ampleur du problème ».
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