Tunisie : la parole de nouveau aux victimes de la dictature
Les victimes de la dictature ont de nouveau pris la parole vendredi soir en Tunisie, au deuxième jour d’auditions publiques « historiques » destinées à exorciser un passé douloureux pour éviter qu’il ne se répète.
Organisées par l’Instance Vérité et Dignité (IVD), chargée de faire la lumière sur les exactions commises sur plusieurs décennies, ces séances ont duré plusieurs heures, jusqu’à une heure avancée de la nuit.
Les récits, particulièrement déchirants, ont suscité beaucoup d’émotion dans la salle, où plusieurs personnes étaient en larmes.
C’est l’un « des héros du bassin minier », selon les termes de l’IVD, qui a été le premier à s’exprimer en direct sur plusieurs télévisions.
Cette région du centre du pays, l’une des plus pauvres de Tunisie malgré sa richesse en phosphates, fut le théâtre en 2008 d’une insurrection réprimée dans le sang par le régime du président Zine El Abidine Ben Ali.
« En vérité, j’ai beaucoup hésité avant de faire ce témoignage », a dit le syndicaliste Béchir Laabidi, arrêté et torturé pour son militantisme.
Mais « je suis convaincu que l?histoire ne peut pas être écrite par les historiens de la cour. Notre histoire est falsifiée, elle a été écrite à la demande », a-t-il affirmé. Ce témoignage doit « rester pour nos enfants, pour notre génération, pour les chercheurs qui veulent connaître la vérité », a-t-il poursuivi.
Presque tous les témoignages ont montré comment la dictature reposait sur « une mafia », « une machine entière » destinée à protéger et perpétuer le système.
« Il ne s’agit pas d’un simple tortionnaire qui a torturé et ça s’est arrêté là. Il y avait un système entier, avec des médecins (impliqués), des ministres, des chefs dans l’appareil sécuritaire », a dit Jamel Baraket, frère de Fayçal Baraket, un responsable du parti islamiste Ennahdha torturé à mort en 1991.
Aujourd’hui, « nous ne demandons que l’application de la loi. Que (les responsables) rendent des comptes », a-t-il ajouté.
Ridha Baraketi, le frère de Nabil Baraketi, militant communiste atrocement torturé avant que son corps ne soit jeté dans un canal d’évacuation d’eau en 1987, a lui aussi réclamé que la vérité soit faite.
« La plaie ne s’est pas refermée, on n’a pas fait le deuil. On ne peut pas clore le dossier », a-t-il dit.
Les auditions se sont tenues au club Elyssa, en banlieue de Tunis, un des nombreux biens confisqués au clan Ben Ali. C’est là que son épouse, Leïla Trabelsi, organisait des réceptions mondaines.
Jeudi soir, les mères de trois jeunes Tunisiens tués en janvier 2011, pendant le soulèvement contre Ben Ali, étaient venues témoigner devant des représentants de la société civile tunisienne et internationale et de partis politiques.
L’épouse et la mère d’un islamiste victime de disparition forcée leur ont succédé, avant un intellectuel islamiste et un opposant de gauche torturés respectivement sous Ben Ali et Habib Bourguiba, le père de l’indépendance.
D’autres auditions publiques sont prévues, a priori les 17 décembre et 14 janvier, selon l’IVD.
Ces deux dates sont hautement symboliques car elles marquent l’anniversaire de l’immolation par le feu du vendeur ambulant Mohamed Bouazizi, qui avait déclenché la révolution fin 2010, puis le départ pour l’Arabie saoudite du président déchu Ben Ali début 2011.
Créée fin 2013 pour faire la lumière, en cinq ans maximum, sur de multiples violations des droits de l’Homme, l’IVD a aussi pour mission de réhabiliter les victimes et de leur octroyer réparation.
La période sur laquelle elle enquête s’étend de juillet 1955 à fin 2013. L’IVD dispose de très larges pouvoirs et a –en principe– un accès total aux archives publiques. Les crimes dont elle peut être saisie vont de l’homicide volontaire à la torture, en passant par le viol, les exécutions extrajudiciaires, la privation de moyens de subsistance et la violation de la liberté d?expression.
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