Eko Atlantic, vitrine du potentiel nigérian et symbole des inégalités persistantes
Devant le paysage lunaire qu’offre la gigantesque étendue de sable, il est difficile d’imaginer une avenue principale aux dimensions des Champs Elysées, à Paris, des grattes-ciels dignes de Manhattan, des marinas et des appartements somptueux surplombant l’Océan Atlantique.
Le plus grand chantier immobilier en cours sur le continent africain est pourtant censé devenir « la Dubaï de l’Afrique » d’ici 15 ou 20 ans.
La ville d’Eko Atlantic va s’étendre sur 10 km² le long de l’île Victoria, à Lagos, et pourra, à terme, accueillir 250. 000 habitants, et 150. 000 travailleurs qui chaque jour rejoindront les bureaux du centre des affaires et les centres commerciaux et restaurants de bord de mer.
Les images de synthèse des tours modernes et des avenues aux trottoirs immaculés contrastent cependant nettement avec les ruelles chaotiques des quartiers populaires de Lagos, où s’entasse la grande majorité des quelques 15 millions d’habitants.
Entièrement construit sur des tonnes de sable dragué au fond de l’océan, le projet avait pour but initial de contrer les agressions de l’Atlantique, qui a grignoté des centaines de mètres de littoral, à cet endroit.
Les travaux ont commencé en 2008 et aujourd’hui, cinq km2 de terrain abandonné à la mer au fil des décennies ont déjà été récupérés.
Des blocs de béton de plusieurs tonnes assemblés selon une technique savamment étudiée au Danemark forment déjà une partie du « grand mur de Lagos », censé protéger la nouvelle ville et le reste de la mégalopole de l’océan, pour les siècles à venir.
Ce sont Ronald et Gilbert Chagoury, deux frères d’origine libanaise, incontournables du milieu des affaires nigérian, qui gèrent ce projet de plusieurs milliards de dollars, à travers la société South Energyx, une des filiales de leur groupe.
« Vous vous êtes dit, protégeons-nous et construisons quelque chose de beau, quelque chose de durable, qui va créer des opportunités, de l’emploi, et de nouvelles aspirations (. . . ) et faire de cette nation une nation du 21ème siècle », s’est enthousiasmé l’ancien président américain Bill Clinton, qui s’est déplacé spécialement à Lagos en février pour venir soutenir le projet.
Gilbert Chagoury figure en haut de la liste des donateurs de la fondation Clinton, à laquelle il a contribué à hauteur d’un à cinq millions de dollars, selon les données publiées sur le site Internet de l’organisation.
La nouvelle ville a pour vocation de devenir un carrefour des affaires à l’échelle du continent, et les promoteurs espèrent attirer des hommes d’affaires du monde entier et une élite locale fortunée, dans la capitale économique de la plus grosse puissance pétrolière africaine.
Selon David Frame, le directeur de South Energyx, cette ville sera gérée de façon entièrement privée et même sa sécurité sera privatisée, afin de répondre aux standards internationaux.
Ses heureux occupants auront donc de l’électricité 24 heures sur 24 et de l’eau potable, un luxe au Nigeria, où les coupures de courant sont quotidiennes et où beaucoup n’ont pas l’eau courante.
Des acteurs de la société civile se demandent si ce projet ne va pas devenir un symbole du fossé qui se creuse entre une élite corrompue et des millions de pauvres, dans un pays de 160 millions d’habitants où une grande partie de la population vit encore avec moins de deux dollars par jour.
« On ne peut pas laisser le développement du Nigeria entre les mains d’individus et d’acteurs privés », estime Auwal Ibrahim Musa Rafsanjani, le Directeur général de l’organisation nigériane Civil Society Legislative Advocacy Centre.
Attablé dans un des boui-bouis le long de la plage publique de Bar Beach, Shopitan Babatunde, chauffeur de taxi, qui sirote un soda avec des amis, observe les grues du chantier Eko Atantic qui s’élèvent à l’horizon.
M. Babatunde sait qu’une fois le projet immobilier géant terminé, Bar Beach aura disparu. Et les cafés qui borderont les luxueuses marinas de la nouvelle ville ne seront pas pour lui. « Ce sont des zones réglementées », dit-il, tout le monde n’y aura pas accès. . . «
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