L’Afrique du Sud exhume des pendus de l’apartheid
Pour la première fois en cinquante-deux ans, Mncedisi Tyopo a pu se recueillir sur la tombe de son père, pendu en 1964 avec onze autres militants anti-apartheid. Son corps était enterré depuis dans une fosse commune, il vient enfin d’être exhumé et identifié.
L’opération est douloureuse mais indispensable pour les familles, afin de panser les plaies laissées par le régime ségrégationniste sud-africain, officiellement tombé en 1994.
« Pendant si longtemps on n’a pas su où se trouvait la dépouille », raconte Mncedisi, qui n’avait que 4 ans à la mort de son père, Bhonase Vulindlela.
Ce dernier faisait partie d’un groupe de 12 membres du Congrès panafricain (PAC), engagé dans la lutte contre l’apartheid, pendus le 3 juillet 1964 pour le meurtre de cinq Blancs dans la province du Cap-Oriental (sud-est).
Aujourd’hui, à 57 ans, Mncedisi se dit « heureux » d’avoir vu cette semaine la tombe et « les os » de son père, enterré au fond du cimetière de Rebecca Street à Pretoria, dans la partie réservée à l’époque aux « Africains et indigents ».
Ici, pas de majestueuses et paisibles allées de jacarandas, comme dans la section réservée aux « Afrikaans ». Juste un pin penché sur un vaste terrain herbeux et cabossé au bord d’une route très fréquentée.
Sous un ciel menaçant, des anthropologues, munis de truelles, pinceaux, balayettes et seaux, s’affairent encore dans un trou de 2 mètres de profondeur. Ils révèlent progressivement des crânes, parfois très endommagés, des fémurs, des tibias, au milieu de clous et de poignées de cercueils désormais désintégrés.
« Les doigts, côtes et vertèbres ont été réduits en poussière mais pour les familles, identifier un crâne ou simplement un long os, c’est mieux que rien », témoigne Kavita Lakha, anthropologue.
Pendant l’apartheid, la dépouille des pendus « restait la propriété de l’Etat », explique Madeleine Fullard, à la tête du département des Personnes disparues au sein du parquet sud-africain. Les familles ne pouvaient pas assister aux obsèques et ne savaient pas où les corps de leurs proches reposaient.
« C’était comme leur infliger un ultime châtiment au-delà de la mort », selon Madeleine Fullard.
La froide administration de l’apartheid a gardé, consigné dans des registres de cimetière aux pages aujourd’hui jaunies, l’emplacement précis des dépouilles des pendus, tout en s’abstenant de marquer les tombes.
L’exhumation de Bhonase Vulindlela et de ses compagnons de lutte, qui sera suivie d’obsèques sur leurs terres ancestrales, vise à réparer cette injustice. Mais pas seulement.
« Vous pouvez signer la paix mais tant que les corps des combattants ne sont pas remis aux familles, elle reste bancale », estime Phillip Dhlamini, président du PAC. Cette exhumation constitue « une première étape vers une paix durable dans le pays » encore meurtri par des décennies de ségrégation.
– Changement d’identité –
C’est la première du genre organisée par Pretoria, qui s’est engagé cette année à exhumer les corps des prisonniers politiques pendus entre 1960 et 1990 et encore enterrés de façon anonyme. Il en reste officiellement 77.
Le gouvernement sud-africain suit ainsi les recommandations de la Commission vérité et réconciliation, qui a révélé l’horreur des crimes politiques commis pendant l’apartheid.
Pour mener à bien ces exhumations, l’Afrique du Sud a reçu le soutien précieux des autorités et d’une anthropologue argentines, experts en la matière après les années de dictature.
Dans le cimetière de Rebecca Street, à la tête de chaque dépouille exhumée une petite pancarte en carton permet d’identifier la victime, avec son nom, son âge et une photo.
Les douze portraits enfoncés dans la terre ocre représentent des hommes noirs, dont cinq de la seule famille Vulindlela.
« A l’époque, il était fréquent pour les Noirs d’être condamnés à mort pour le meurtre de Blancs », mais l’inverse était « très rare », souligne le ministre de la Justice, Michael Masutha.
A la suite de l’arrestation de son père, Mncedisi a dû changer de nom de famille, par peur de représailles. Un demi-siècle plus tard, sa carte d’identité porte toujours son nom d’emprunt.
Avec l’exhumation, « je pense que je vais me sentir mieux » et pas simplement émotionnellement, avance-t-il.
Dans la tradition africaine, « l’esprit du mort veille sur sa famille », explique Sandla Goqwana, un représentant de la province du Cap-Oriental. « Si le mort n’est pas correctement enterré, les familles attribuent leurs problèmes » à cette entorse aux traditions.
Une fois les dernières formalités administratives remplies, les familles des 12 pendus espèrent enterrer, d’ici février, leurs proches sur leurs terres pour qu’ils y reposent enfin en paix.
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