Afrique du Sud: la défense du thé rouge rooibos, une affaire d’Etat
Les autorités sud-africaines ont juré de défendre le rooibos, un thé rouge unique au pays, qui, selon elles, est menacé par la volonté d’une entreprise française de déposer son nom, une démarche qui compliquerait l’exportation vers la France de cette spécialité très locale.
L’affaire a éclaté quand Compagnie de Trucy, une société d’investissement basée à Paris, a demandé à l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) français de déposer douze marques contenant le mot « rooibos » ou « rooibos tea » (en anglais), comme « The Rooibos Company », « Compagnie européenne du rooibos », « La maison du rooibos », etc.
De quoi inquiéter sérieusement les producteurs: « Personne d’autre ne pourra appeler le rooibos par son nom en France » à moins de payer des royalties à la firme française, se désole Snoekie Snyman, coordinatrice du Conseil du rooibos sud-africain.
« Qu’une compagnie veuille l’utiliser (le rooibos) comme une marque déposée à l’étranger et toucher des royalties est franchement inacceptable », s’est emporté le ministre du Commerce Rob Davies.
« C’est une cause que nous allons défendre » coûte que coûte, a-t-il ajouté devant un récent congrès sur la propriété intellectuelle.
Couramment appelé « thé rouge », le rooibos est une plante qui ne contient pas de théine. Il donne en infusion une boisson agréable, légèrement sucrée, renommée pour ses bienfaits pour la santé.
Il ne pousse que dans le Cederberg, dans l’arrière-pays du Cap. Le chiffre d’affaires de la filière n’est pas énorme, de l’ordre de 500 millions de rands par an (42 millions d’euros), dont 45% partent à l’exportation. Mais le pays y est très attaché, comme au biltong (viande séchée) ou à l’agneau du Karoo (le vaste plateau aride du sud-ouest du pays).
Compagnie de Trucy n’a pas spécifiquement voulu déposer le mot « rooibos » lui-même. Mais c’est tout comme pour Claire Neirac, juriste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).
« Si on emploie le mot rooibos, ça fait concurrence aux marques +Le comptoir du rooibos+, +Le palais du rooibos+, etc. (. . . ) Tout ce qui contiendrait le mot rooibos serait contrefaisant parce que trop proche de ces marques », explique-t-elle.
La compagnie américaine Burke International avait déjà tenté d’enregistrer le nom aux Etats-Unis en 1994, exigeant des royalties des importateurs, mais elle avait été contrainte à faire marche arrière onze ans plus tard au terme d’une longue bataille judiciaire.
Pour être protégé à l’étranger, un produit doit déjà l’être dans son propre pays. Or, l’Afrique du Sud ne connaît pas les appellations d’origine contrôlées, ce qui complique la donne pour les producteurs de rooibos.
Mais il n’y pas pas de danger, assure Jean-Michel Flu, le directeur des marques à l’INPI: « La position de l’INPI, c’est que nous considérons que le terme +rooibos+ n’est pas distinctif, et que personne ne peut se l’approprier. «
Concrètement, le thé rouge sud-africain est selon lui assez connu pour qu’on ne puisse pas entraver sa commercialisation. L’INPI, qui a enregistré huit des douze marques proposées par Compagnie de Trucy, a quand même retoqué les appellations « Rooibos Tea » et « South African Rooibos ».
« Il y a une trentaine de marques avec le terme +rooibos+, dont certaines sont très anciennes », relève d’ailleurs M. Flu. Y compris le mot « Rooibos » associé à un logo représentant une tasse qui fume, déposé en 2005 par Rooibos Limited, une ancienne coopérative qui écoule environ 70% de la production mondiale.
« Je ne vois pas bien où est le débat », s’interroge Matthias Leridon, le président de Compagnie de Trucy, qui entend créer une marque de luxe commercialisant notamment du rooibos fournis par des petits producteurs.
« Nous avons pleinement conscience que le terme rooibos présente un caractère générique, usuel et nécessaire à la désignation de cette variété de plante », a-t-il écrit dans un courrier au ministre Rob Davies dont l’AFP a obtenu copie.
Selon des professionnels du secteur, des producteurs sud-africains seraient à l’origine de la polémique, afin d’accélérer le processus de reconnaissance d’une appellation d’origine contrôlée (ou protégée) pour le rooibos.
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