Les Rastafaris ne sont plus prophètes en leur « terre promise » éthiopienne

Sous le soleil de fin d’après-midi, autour d’un feu rituel, des rastafaris balancent leurs dreadlocks au son des tambours et chantent les louanges de l’ancien empereur d’Ethiopie Hailé Sélassié, qu’ils considèrent comme la réincarnation de Dieu.

Les Rastafaris ne sont plus prophètes en leur « terre promise » éthiopienne © AFP

Les Rastafaris ne sont plus prophètes en leur « terre promise » éthiopienne © AFP

Publié le 18 mai 2012 Lecture : 3 minutes.

Des volutes de marijuana s’élèvent au-dessus des fêtards vêtus aux couleurs des drapeaux rastafari et éthiopien – rouge, vert et or -, rassemblés à Shashemene, à 250 km au sud d’Addis Abeba, pour commémorer ce mois-ci le 46e anniversaire de la visite de Sélassié en Jamaïque.

C’est cette visite qui a ouvert la voie à l’émigration de nombreux rastafaris jamaïcains vers l’Ethiopie, considérée comme leur terre promise.

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Créé dans les années 30 au sein des descendants d’esclaves de Jamaïque, ce mouvement spirituel considère Haïlé Selassié comme le Messie. Il était à l’époque le seul monarque noir d’un pays souverain et non colonisé.

Le mouvement, rendu célèbre dans le monde entier par la musique d’un de ses membres les plus illustres, Bob Marley, porte le nom de l’empereur avant son couronnement: Ras Tafari (Ras, titre nobiliaire éthiopien, et Tafari, son nom de naissance).

« Après la visite d’Hailé Sélassié dans les Caraïbes en 1966, les rastafaris jamaïcains ont commencé à affluer », raconte Giulia Bonacci, chercheuse au Centre français des études éthiopiennes à Addis Abeba.

Partisan de la décolonisation et de la coopération entre Etats africains à une époque où ils étaient encore des colonies européennes, Haïlé Sélassié, empereur de 1930 à 36 et de 1941 à 74, avait offert, dans les années 1950, 500 hectares de terres à Shashemene aux descendants des esclaves originaires d’Afrique souhaitant revenir sur le continent.

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Shashemene est aujourd’hui l’une des seules communautés rastafari d’Afrique. Ses quelque 600 membres, venus des Caraïbes, d’Amérique du Nord et d’Europe, gardent scrupuleusement leurs traditions: dreadlocks, nourriture végétarienne, marijuana et musique reggae.

– La terre de Salomon et de la reine de Saba –

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Si 40 hectares ont été restitués à la communauté depuis que Mengistu a été à son tour chassé du pouvoir en 1991, les actuels habitants de Sashemene sont simplement « tolérés » par le gouvernement, sans bénéficier de la citoyenneté éthiopienne.

Kestekle Ab, 82 ans, est arrivé de Jamaïque il y a onze ans. Il raconte que les autorités lui ont récemment intimé l’ordre de déménager pour laisser place à une route. « Où vais-je vivre? », s’interroge-t-il, assis dans sa petite cabane exiguë, aux murs ornés d’une photo pâlie de Sélassié et d’un drapeau rasta.

« Nous avons droit à la terre », estime-t-il en racontant qu’à son arrivée à Shashemene, l’endroit n’était peuplé que de quelques fermiers.

Aujourd’hui, c’est une ville en plein essor de 120. 000 habitants, où les triporteurs à moteur sont désormais plus nombreux que les traditionnelles charrettes.

« On nous confisque » la terre, tempête Ras Kabena, 58 ans, qui a quitté la République dominicaine il y a 20 ans et qui dirige un centre de médecine naturelle.

Pour les « Rastas », la terre éthiopienne, évoquée, disent-ils, plus de trente fois dans la Bible et qu’ils considèrent comme le lieu de naissance du roi Salomon et de la reine de Saba, a un caractère « divin ».

« C’est la terre promise, c’est là que Dieu est né », affirme Kestekle Ab, qui était à Kingston lors de la visite d’Haïlé Sélassié.

Le statut administratif plutôt vague des Rastas de Shashemene les empêche de monter des affaires ou d’accéder aux services réservés aux citoyens éthiopiens.

« Je suis en Afrique et d’après mon statut je suis clandestine. Or je ne me sens pas clandestine, car je suis rentrée chez moi. Mais si l’on s’en tient à la lettre de la loi, oui, c’est bien la réalité », souligne Carol Rocke, qui tient un restaurant caribéen à Shashemene.

Arrivée « sur ordre de Dieu » il y a six ans de Trinidad à Shashemene, elle n’a pas obtenu la licence commerciale qu’elle souhaitait et n’est autorisée à exercer qu’en tant qu’investisseur étranger, ce qui limite son activité.

Les Rastas ont adressé une requête en régularisation au Parlement, sans succès pour l’instant.

« Nous sommes là depuis 50 ans. Cela signifie que nous avons été intégrés dans la société éthiopienne, dans la culture éthiopienne. Certaines ont des maris éthiopiens, certains ont des épouses éthiopiennes », explique Carol Rocke.

Mais « on nous a empêchés de nous enraciner, on n’a pas pu se développer en tant que peuple ».

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