La Centrafrique terrain d’une lutte d’influence diplomatique et sécuritaire

Influence diplomatique, présence sécuritaire, intérêts économiques… En Centrafrique, pays en conflit depuis 2013 où un quart de la population a dû fuir son domicile, les grandes puissances se livrent à une rude lutte d’influence, récemment exacerbée par l’arrivée de la Russie dans le pays.

Patrouilles françaises au nord de Bangui,  2014. © Jerome Delay/AP/SIPA

Patrouilles françaises au nord de Bangui, 2014. © Jerome Delay/AP/SIPA

Publié le 19 mai 2018 Lecture : 3 minutes.

« La Centrafrique, c’est un échiquier géopolitique où chacun avance ses pions. Quand l’un bouge, les autres regardent et agissent en conséquence », pense un haut fonctionnaire onusien à Bangui à propos de la présence en RCA de pays comme la France, les Etats-Unis, la Chine et la Russie.

Fin 2017, Moscou a été autorisé par l’ONU à livrer des armes et envoyer des instructeurs militaires à Bangui, malgré un embargo sur les armes depuis 2013.

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La décision avait à l’époque suscité débats et inquiétudes au Conseil de sécurité, en particulier de la part des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni, qui avaient réclamé que certaines armes (antiaériennes, mines…) soient retirées de la livraison. Ils avaient aussi demandé une traçabilité de celles livrées.

Six mois plus tard, les armes sont arrivées, et la Russie, qui aurait signé des accords bilatéraux avec Bangui, a décuplé son champ d’action dans le pays : des soldats russes assurent désormais la sécurité présidentielle et différents groupes armés assurent avoir été approchés par des agents russes pour faire de la médiation, selon des sources concordantes.

« Les Occidentaux ont raté le coche », estime aujourd’hui un diplomate occidental à l’ONU, qui trouve « inquiétant » que les Russes soient « partout dans l’appareil étatique » centrafricain.

Dans un contexte où « la Russie veut une revanche historique et les Occidentaux sont fatigués de l’Afrique, certains pays africains continuent de jouer la stratégie de l’extraversion, d’espérer que leur développement viendra d’ailleurs » que des anciennes puissances coloniales, pense Thierry Vircoulon, spécialiste de la Centrafrique au centre français de recherche IFRI.

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En parallèle, la Mission de l’ONU en Centrafrique (Minusca, 10.000 soldats) tente depuis 2014 de prévenir les violences dans les provinces, majoritairement contrôlées par les groupes armés qui se battent pour le contrôle des ressources et de l’influence.

« Les acteurs politico-militaires, qu’ils soient issus des groupes armés ou du gouvernement, exploitent cette convoitise pour défendre des intérêts privés, au détriment des populations civiles », analyse Nathalia Dukhan du think-thank américain Enough Project.

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Certains d’entre eux ont récemment menacé de marcher sur Bangui, en réaction à un regain de tensions communautaires après des violences qui ont fait plusieurs dizaines de morts dans la capitale.

« Etat à genoux et à vendre »

Comme « pour rappeler qu’ils sont toujours là », selon la source onusienne à Bangui, la France a envoyé des Mirage 2000-D depuis le Tchad faire un survol dissuasif de Kaga-Bandoro (nord-est) dimanche, une première depuis le départ de l’opération Sangaris, en 2016.

La France reste présente militairement en Centrafrique avec une cinquantaine de formateurs et des drones tactiques.

La RCA est « un Etat à genoux qui est à vendre », estime encore M. Vircoulon qui ajoute: « les acheteurs sont les puissances émergentes, comme la Chine, et une puissance sur le retour, la Russie. Les Occidentaux ne sont plus acheteurs, on est au 21e siècle et les colonisateurs ont changé ».

« Il y a un changement clair des relations de l’Occident à l’Afrique – qui sont maintenant centrées sur les migrations et la sécurité – donc c’est un bon moment pour de nouveaux entrants étrangers de prendre leurs marques », corroborait dans une note début mars Ronak Gopaldas, consultant du think-thank Institute of Security Studies (ISS, sud-africain).

Fin 2017 début 2018, Pékin a annoncé plusieurs « cadeaux » à la Centrafrique – annulation d’une dette de 17 milliards de dollars, formation en Chine de cadres centrafricains, donation de matériel militaire – sans pour autant chercher une influence politique ni sécuritaire visible.

Pétrole et mines

Mais la Chine est présente en Centrafrique sur le volet économique : exploitation minière, exploration pétrolière. Depuis 2007, deux entreprises étatiques chinoises font ainsi de l’exploration pétrolière dans le nord du pays.

Celles-ci ont quitté les sites de forage fin 2017, après que le groupe armé qui contrôle la zone, le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC, promusulman) eut critiqué le « parti pris pour Bangui » de la Chine.

« Ils sont partis en abandonnant tous leurs camions et matériel », indique la source onusienne à Bangui.

Fin avril, une vingtaine de camions russes sont arrivés dans le nord de la Centrafrique, via le Soudan où la Russie est implantée de longue date.

Officiellement et selon le FPRC, ceux-ci doivent participer à la réfection d’hôpitaux dans le nord du pays. Des observateurs évoquent d’autres desseins, sans qu’il soit possible de les confirmer de source indépendante.

A Bangui, la présidence se félicite de l’aide de ces « pays amis » à la Centrafrique. « J’ai voulu une diplomatie dynamique, visible, qui stimule une légitimité et une efficacité digne de notre Etat », a ainsi déclaré le président Faustin-Archange Touadéra, fin mars.

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