Au Gabon, l’entreprise singapourienne Olam rafle (presque) tous les marchés
En près de vingt ans, le géant mondial de l’agro-business Olam est devenu incontournable au Gabon, qui tente de sortir de sa dépendance pétrolière, au risque de créer des situations de monopoles.
D’abord centré sur l’exportation de bois, le groupe singapourien s’est mis dans la roue de l’ambitieux plan de diversification lancé par le président Ali Bongo Ondimba à son arrivée au pouvoir en 2009, en promettant créations d’emplois et investissements.
Depuis, Olam n’arrête pas, et investit dans de nombreux domaines : agricole, forestier, transports, logistique, santé… En 2010, le groupe agroalimentaire a cofinancé avec l’État une zone économique spéciale (Gabon Special Economic Zone, GSEZ), dont il a la gestion.
Cette zone, située à Nkok, à une trentaine de kilomètres de Libreville, s’inscrit dans un plan plus large: un nouvel aéroport doit être construit par la société aux abords de la GSEZ, et un nouveau port -lié à la GSEZ et exonéré de taxes- a été construit par Olam à Owendo (banlieue sud de Libreville).
17 000 emplois créés en sept ans
L’objectif de l’État est assumé: favoriser l’exportation des productions gabonaises et ouvrir le marché gabonais à de nouveaux acteurs, quitte à parfois bousculer l’ancienne puissance coloniale française présente au Gabon à travers des entreprises comme Total ou Bolloré.
Bon gré mal gré, ce pays de moins de deux millions d’habitants tente de sortir d’une crise économique profonde depuis la chute du prix du baril en 2014-2015.
Aujourd’hui, Libreville se réjouit de la présence d’Olam : 17 000 emplois ont été créés en sept ans, et la valeur ajoutée créée par Olam pour l’économie gabonaise représente 3,6 % du PIB nominal, indique une étude d’impact 2010-2017 sur le groupe Olam publiée mardi.
« Nous tentons des choses (au Gabon), nous faisons des expériences », confiait le directeur exécutif d’Olam, Shekhar Anantharaman, interrogé en mai par Jeune Afrique, pour expliquer le développement rapide de l’entreprise dans le pays.
Dynamisme
Mais en se concentrant sur l’exportation de ses produits, Olam pourrait créer une « croissance appauvrissante », estime Jean-Louis Nkoulou Nkoulou, enseignant-chercheur en économie à l’université Omar Bongo à Libreville.
De même, Olam n’a participé entre 2012 et 2017 qu’à 0,08 % de la collecte totale des finances publiques du fait de ses exonérations fiscales, selon le texte. Ce rapport pointe néanmoins que l’impact de la GSEZ d’Olam « se fait progressivement sentir sur l’économie du Gabon » et souligne le dynamisme qui a accompagné l’arrivée du nouveau port.
Présent lors de la présentation du rapport mardi à Libreville, Marc Ona Essangui, un activiste gabonais, estime que malgré des réussites en termes d’emplois, « les investissements d’Olam n’ont pas été orientés vers des projets qui visent à améliorer les conditions de vie des populations ».
Risque de concentration
Depuis plusieurs années, Marc Ona proteste contre la dégradation des forêts gabonaises, du fait des plantations de palmiers à huile. En réponse, Olam Gabon brandit le certificat Rountable on Sustainable Palm Oil (RSPO), reçu en janvier et attestant du respect des normes environnementales pour la production d’huile de palme.
« L’État doit prendre en compte le fait qu’il existe un risque de concentration, du fait du poids d’Olam dans plusieurs secteurs stratégiques de l’économie », pense Mays Mouissi, auteur de l’étude d’impact sur le groupe Olam et économiste proche de l’opposition.
« Les autorités devraient ouvrir les marchés. Pour l’instant, Olam mène le jeu dans les secteurs où l’entreprise est présente », commente M. Nkoulou Nkoulou. « Olam possède une position privilégiée par rapport aux décideurs gabonais », estime-t-il.
Litiges
Des ONG et politiciens gabonais ont dénoncé à plusieurs reprises ces dernières années un manque de transparence dans l’attribution de contrats de marchés publics remportés par Olam. « Nous avons invité Olam à publier annuellement son rapport annuel et ses états financiers, ce qu’ils se sont engagés à faire », a indiqué M. Mouissi.
Olam a connu des contentieux avec certaines entreprises installées au Gabon depuis plusieurs dizaines d’années, qui voient ce nouvel acteur économique à fortes réserves financières rafler une quantité importante de marchés.
Le groupe français Bolloré, jusque-là en situation de monopole avec l’ancien port, a contesté la livraison du nouveau en pointant du doigt la convention de concession signée en 2007 avec Libreville. L’entreprise a porté plainte contre le Gabon pour non respect de cette convention fin 2017, avant de trouver un accord avec Olam et la présidence, par lequel il a récupéré la gestion du nouveau port d’Owendo.
Créé en 1989 au Nigeria dans le but d’exporter des noix de cajou vers l’Inde, Olam, aujourd’hui présent dans 66 pays, est majoritairement détenu par le japonais Mitsubishi et par Temasek, le fonds souverain de Singapour.
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