Au Ghana, la prévention de la migration illégale ne fait pas le poids face au chômage
Le président ghanéen leur avait demandé de « changer leur mentalité, d’arrêter de « croire que l’Europe est un eldorado », mais malgré ces remontrances et une croissance économique florissante au Ghana, les candidats au départ ne se démotivent pas.
Un de ces candidats, Ernest Owusu vit à Dormaa-Ahenkro, une ville frontalière de la Côte d’Ivoire, d’où partent la grande majorité des migrants ghanéens. Il est mécanicien, mais sur ses mains, pas de trace de cambouis: « Je n’ai aucune voiture à réparer », lâche-t-il, dans son garage rempli de carcasses de voitures et de minibus.
Ce père de trois enfants n’hésiterait pas une seule seconde si il avait des économies à retourner en Libye où il a passé vingt ans de sa vie à travailler comme maçon, avant d’être expulsé en 2011, alors qu’il tentait de passer en Italie.
Le président ghanéen Nana Akufo-Addo avait fait sensation en recevant son homologue français Emmanuel Macron fin novembre 2017. Dans un discours qui avait fait le tour des réseaux sociaux, il voulait « convaincre la jeunesse que les opportunités sont ici », en Afrique.
Programme d’emploi
Sur le papier, les chiffres pourraient lui donner raison. Grâce à une nouvelle exploitation d’hydrocarbures, le Ghana devrait connaître le taux de croissance le plus élevé du monde (+ 8,3%) e n 2018.
Mais Ernest Owusu est moins enthousiaste que son dirigeant. « C’est un mensonge. Personne ne peut venir ici et dire que c’est bon. Regardez mes mains », dit-il, en se plaignant de ne pas avoir de travail.
Le gouvernement a mis en place un programme d’emploi pour les jeunes pour tenter d’endiguer les problèmes du chômage et a annoncé la création d’emplois pour 100 000 jeunes diplômés. Mais M. Owusu, lui, ne voit aucune voiture à réparer.
Exil douloureux
À quelques kilomètres de là, Kwame Amadu Haruna cultive des tomates. Il a aussi construit un poulailler pour élever de la volaille, mais il n’a pas assez d’argent pour acheter les premiers poussins et entretenir la structure.
Lui aussi a été rapatrié de Libye, où il travaillait dans le bâtiment. Et un ami l’appelle quasiment tous les jours pour le convaincre de repartir. Mais, pour lui, l’expérience a été douloureuse sur son chemin de l’exil. Il dit avoir eu une arme pointée sur sa tempe et il s’est juré de ne jamais retenté l’aventure.
Il s’est d’ailleurs engagé dans un programme de prévention pour décourager les candidats au départ. L’immense majorité d’entre eux n’ont aucune idée des réalités qui les attendent et de véritable situation en Libye, qui s’est empirée depuis la chute du président Mouammar Kadhafi en 2011.
Les retours volontaires, une goutte d’eau
Il est d’accord avec son président Akufo-Addo, et tente de rester optimiste sur l’avenir. Mais il faut bien se rendre à l’évidence, dit-il, rien ne les empêchera de partir, s’il n’y a pas de travail à Dormaa-Ahenkro. « Ce sont juste des promesses, mais sur le terrain, on ne voit rien qui change », se désole-t-il.
Depuis la diffusion d’un documentaire choc de la chaîne CNN montrant des migrants africains vendus comme des esclaves qui a provoqué l’indignation internationale et le sommet Europe-Afrique fin novembre 2017, où de nombreux chefs d’État se sont engagés à agir après des années de déni, des efforts ont été réalisés pour venir en aide aux migrants « piégés » sur leur route.
Ainsi depuis le début de l’année, 706 Ghanéens sont rentrés volontairement dans leur pays et près de 8 000 personnes sont également retournées au Nigeria, premier pays de départ en Afrique de l’Ouest. Mais ces chiffres ne représentent qu’une goutte d’eau. En mars 2018, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), estimait que plus de 60 000 Ghanéens étaient bloqués en Libye sur le chemin vers l’Europe.
« Seule chance »
Sur place aussi, les services ghanéens d’immigration, avec l’aide de l’Union européenne, ont mis en place un centre d’information pour les migrants à Sunyani, la capitale de la région de Brong Ahafo, d’où viennent la moitié des migrants rapatriés.
L’officier James Hayford Boadi et son équipe tentent de renseigner les communautés sur les dangers de la migration illégale. « Mais la tâche est difficile, admet-il. À Sunyani, la migration est endémique. »
Albert Oppong, jeune diplômé de l’université locale a perdu beaucoup de ses amis dans les eaux de la Méditerranée. Son frère a même été tué en Libye en 2016. Mais il n’en démord pas, il est prêt à mourir lui aussi pour quitter sa région natale.
« Jamais vous ne verrez les gens importants là-bas. Leurs enfants, leurs proches, ils ne sont pas en Libye. Notre problème, c’est le manque de travail. Quand tu viens d’une famille pauvre, ta seule chance de l’aider c’est d’aller à l’étranger, et ne pas mourir en route », martèle le jeune homme. Selon lui, tout n’est qu’une question de détermination et de persévérance. « Avec ça, on peut aller n’importe où ».
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