Au Rwanda, la guerre commerciale sur les vêtements d’occasion
Au Rwanda, les marchés où s’empilent des vêtements d’occasion venus des États-Unis sont au coeur d’une guerre commerciale dont les vendeurs déplorent qu’elle les prive de leur gagne-pain.
Décidé à renforcer son industrie textile, le Rwanda a augmenté en 2016 les droits d’importation sur les vêtements d’occasion, bouleversant un secteur valant des millions de dollars et créant des tensions avec les États-Unis.
Celestin Twagirayezu, 33 ans, et Mercelle Dusabe, 35 ans, ont commencé il y a dix ans à vendre des fripes sur des étals adjacents dans le populaire marché de Nyabugogo à Kigali.
Très vite, les affaires sont devenues florissantes, permettant aux deux amis d’acheter leur maison et de se marier.
Jusqu’à ce que le Rwanda décide de multiplier par 12 les droits de douane pour l’importation de vieux vêtements et par 10 ceux des chaussures usagées. Pour des commerçants aux revenus soudainement très amoindris, cette hausse spectaculaire équivaut à une interdiction de fait.
« Cette décision a pris tout le monde par surprise. Au début, on a fait avec notre stock de vêtements, mais quelques mois après ça a été le retour à la réalité et les choses n’ont ensuite fait qu’empirer », explique Celestin, se disant tout près de « jeter l’éponge ».
L’Afrique de l’Est importe environ 1/8e des vêtements déjà utilisés dans le monde et cette industrie emploie 355.000 personnes, représentant 230 millions de dollars (195 millions d’euros) de recettes par an, selon une étude de l’agence américaine d’aide internationale (USAid).
La majeure partie de ces vêtements recyclés vient des États-Unis, et pour les dirigeants de la région, dont le président Paul Kagame, ce marché constitue une entrave au développement des industries textiles locales.
Alors que Celestin a vu son commerce dépérir, Mercelle s’est tourné vers les importations de vêtements neufs d’origine chinoise. Mais les affaires ne marchent guère mieux pour lui non plus.
Industrie naissante
« Vous ne pouvez pas imaginer combien de clients j’ai perdu en passant à la vente de vêtements chinois ! Plein de gens continuent à venir demander des vêtements d’occasion, et quand ils n’en trouvent pas, ils ne reviennent pas », dit-il.
Celestin partage cette opinion, estimant que les clients préfèrent les vêtements d’occasion aux importations chinoises, en raison d’un coût inférieur et d’une qualité meilleure.
Initialement, les pays d’Afrique de l’Est étaient unis dans la lutte contre ce marché de l’occasion.
Mais l’alliance s’est craquelée quand le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda ont reculé devant la crainte d’être sanctionnés par Washington dans le cadre de l’Agoa (African Growth and Opportunity Act), un accord commercial mis en place en 2000 pour faciliter et réguler les échanges commerciaux entre les États-Unis et l’Afrique.
Seul le Rwanda a refusé de capituler et en 2016, quand Kigali a décidé d’augmener les droits de douane pour les importations de vêtements d’occasion, celles-ci ont baissé d’un tiers.
En conséquence, le président américain Donald Trump a menacé en mars de suspendre dans un délai de 60 jours les avantages commerciaux dont bénéficiaient les vêtements importés du Rwanda.
La date limite a été passée sans qu’aucune sanction soit adoptée. Mais avec un président Trump faisant la guerre à toutes les concessions de ce genre, le Rwanda risque fort d’être rappelé à l’ordre un jour ou l’autre.
L’industrie de l’habillement est encore naissante au Rwanda et ne concerne que quelques rares entreprises, qui ne sont pas forcément rwandaises.
L’un des perdants de cette guerre commerciale est ainsi le fabricant chinois C&H, qui s’était installé dans la zone économique spéciale de Kigali en vue de bénéficier de l’Agoa, et exporte la totalité de sa production rwandaise en dehors de ce petit pays de la région des Grands Lacs.
La menace chinoise
Beaucoup de ses clients américains ont gelé leurs commandes en attendant qu’un accord soit trouvé sur l’Agoa. « Nous avons perdu des marchés aux États-Unis en raison de la situation avec l’Agoa », reconnaît une responsable de C&H, Emmy Iraguha.
Les activités rwandaises de cette société chinoise génèrent un chiffre d’affaires de 154 millions de dollars par an. C&H n’a pas encore cédé à la pression du gouvernement rwandais, qui lui demande de produire des habits pour le marché local afin de combler la pénurie de vêtements d’occasion.
L’entreprise rwandaise Uterxwa, spécialisée dans les vêtements de travail industriel et les uniformes, voit dans la hausse des droits d’importation rwandais sur les vêtements d’occasion une « avancée positive ».
« Quand il y aura plus de compagnies d’habillement locales, les produits seront compétitifs, pas seulement au Rwanda mais aussi dans les pays voisins », estime son directeur Ritesh Patel, en allusion à la difficulté de produire des vêtements au prix suffisamment attractif pour le marché intérieur.
« Les alternatives aux vêtements d’occasion sont très chères », relève Kevin Uwamahoro, un chauffeur de moto-taxi qui va faire ses emplettes en Ouganda, où le marché de l’occasion reste prospère.
Les grands vainqueurs dans cette guerre commerciale entre David et Goliath, malgré les réticences actuelles des clients à leur égard, pourraient être les entreprises chinoises basées en Chine, dont les produits très bon marché devraient remplacer les habits d’occasion et étouffer le marché local.
« Les importations massives de vêtements chinois, légitimes ou non déclarées, constituent la vraie menace à l’industrie textile est africaine », observe l’USAid.
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