Génocide au Rwanda : l’enquête sur le massacre de Bisesero se clôt sans poursuites

Vingt-quatre ans après le génocide des Tutsi au Rwanda, les juges d’instruction français ont terminé leurs investigations sur de possibles responsabilités de l’armée française lors du massacre de Bisesero sans avoir prononcé de mise en examen, au grand dam des parties civiles qui redoutent un « déni de justice ».

Des photos des victimes du génocide contre les Tutsi, au mémorial de Gisozi, à Kigali. © Ben Curtis/AP/SIPA

Des photos des victimes du génocide contre les Tutsi, au mémorial de Gisozi, à Kigali. © Ben Curtis/AP/SIPA

Publié le 28 septembre 2018 Lecture : 3 minutes.

Des soldats français de l’opération Turquoise, en 1994 sur l’aéroport de Bukavu au Zaïre (actuelle RDC), juste avant leur départ pour la France. © Reuters (Archives)
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Génocide au Rwanda : Bisesero, le massacre qui embarrasse l’armée française

Alors que la justice française entend clore par un non-lieu son instruction sur Bisesero, l’un des épisodes les plus controversés de l’opération Turquoise au Rwanda en 1994, les parties civiles dénoncent le « naufrage judiciaire » que représenterait un enterrement de cette affaire dans laquelle des militaires français sont soupçonnés de complicité de génocide.

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Les juges du pôle « crimes contre l’humanité et crimes de guerre » au tribunal de Paris ont annoncé le 27 juillet aux parties civiles la clôture de l’instruction, ont indiqué à l’AFP une source proche du dossier et une source judiciaire, confirmant des informations de Mediapart.

Depuis 2005, six rescapés du massacre, l’association Survie, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH et LDH) et d’autres parties civiles accusent la force militaire française Turquoise d’avoir sciemment abandonné des centaines de Tutsis des collines de Bisesero (ouest), du 27 au 30 juin 1994, aux génocidaires ralliés au pouvoir gouvernemental Hutu, qui bénéficiait d’un soutien ancien de Paris.

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Les rescapés, à l’origine de la plainte en 2005, affirment que les militaires français leur ont promis le 27 juin 1994 de les secourir, pour ne le faire finalement que le 30. Pendant cet intervalle de trois jours, des centaines de Tutsis ont été massacrés dans les collines.

Nouvelles demandes d’actes

L’absence de suspects mis en examen au terme d’une information judiciaire ouvre logiquement la voie à un non-lieu. Mais les parties civiles entendent déposer de nouvelles demandes d’actes, comme le permet la loi, avant les réquisitions du parquet et la décision finale des juges d’instruction.

L’association Survie, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et la Ligue des droits de l’homme (LDH) ont assuré vendredi dans un communiqué être « mobilisées pour éviter un déni de justice ».

Pendant l’instruction, au moins quatre hauts-gradés français – dont le chef de Turquoise, le général Jean-Claude Lafourcade – avaient été mis en cause et entendus par les juges sous le statut de témoin assisté, intermédiaire entre le simple témoin et le mis en examen.

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« Rien à se reprocher »

Mais plusieurs auditions – en particulier de François Léotard, alors ministre de la Défense – et confrontations, réclamées par les parties civiles, ont pour leur part été rejetées par les juges. En 2017 notamment, ils ont refusé d’entendre l’amiral Jacques Lanxade, l’ancien chef d’état-major des armées, et son adjoint de l’époque, le général Raymond Germanos, une décision confirmée quelques mois plus tard par la cour d’appel de Paris.

Selon Survie, les deux hauts-gradés étaient informés dès le 27 juin que des Tutsis étaient attaqués par des miliciens, mais n’ont pas réagi ni donné d’ordre de leur porter secours.

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« Compte tenu des éléments d’information dont nous disposions à l’époque, nous avons découvert la situation progressivement », avait justifié l’amiral Jacques Lanxade, joint par l’AFP en novembre 2017, assurant que l’armée n’avait « rien » à se reprocher. En mai dernier, il s’est dit favorable à l’ouverture des archives militaires dans ce dossier, une promesse de l’ancien président François Hollande en 2015, mais qui n’a été que partiellement respectée selon des chercheurs et des associations.

Un dossier toujours sensible

« Il est inconcevable de clore le dossier sans avoir auditionné le chef d’état-major des armées et son adjoint de l’époque », a déclaré à l’AFP Me Eric Plouvier, avocat de l’association Survie. « Nous avons le projet de faire des demandes de confrontations et de versement de pièces dans la procédure », a-t-il indiqué, estimant que ce « dossier ancien ne méritait pas le mépris judiciaire » dont il fait l’objet.

Près d’un quart de siècle plus tard, le rôle joué par la France au Rwanda reste encore un sujet hautement polémique, objet de tensions entre Paris et Kigali.

Le président Kagame, dirigeant le Front patriotique rwandais (FPR) qui a pris le pouvoir à Kigali quelques jours avant la fin du génocide, accuse les autorités françaises d’avoir soutenu le pouvoir hutu et d’avoir été un acteur des tueries, ce que Paris a toujours fermement démenti.

Les massacres avaient fait, à partir d’avril 1994 en à peine 100 jours, environ 800.000 morts, essentiellement parmi la minorité tutsi. En novembre 2016, le parquet rwandais a lancé de son côté une procédure contre 22 officiers français qu’il accuse d’implication dans le génocide, dont l’amiral Lanxade et le général Lafourcade.

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