La Révolution tunisienne invitée à Cannes avec le film « Plus jamais peur »
Tirs de lacrymogènes, hymne national scandé à la face des policiers de Ben Ali, images d’un peuple se libérant de 23 ans de régime autoritaire: les moments forts de la révolution tunisienne vont être projetés au festival de Cannes, rompant avec onze ans d’absence du cinéma tunisien sur la Croisette.
« Plus jamais peur », documentaire de 74 minutes, a été tourné en HVD (disque holographique) « dans l’urgence des moments » qui ont entouré l’effondrement du régime du président Zine El Abidine Ben Ali, le 14 janvier, explique à l’AFP le réalisateur du film Mourad Cheikh.
Auteur de plusieurs courts métrages dont « le Pâtre des étoiles » (2003), Mourad Cheikh exerce sa profession entre la Tunisie et l’Italie, et n’en revient toujours pas d’aller à Cannes.
« C’était inattendu, on avait envoyé une copie du film à Cannes, on avait travaillé comme des fous, ils avaient d’abord répondu qu’on n’était pas sélectionnés puis un soir un des assistants (du festival) nous a annoncé qu’on l’était ».
Multipliant les préparatifs de dernière minute avant la projection de « Plus jamais peur » dans la série film-documentaire le 20 mai sur la Croisette, Mourad explique avoir choisi ce titre car c’est « un slogan qui a surgi sur les murs de Tunis pendant la révolution ».
« Ce slogan colle à ce qui s’est passé car c’est le mur de la peur qui s’est effondré », ajoute-t-il, soulignant à quel point « le pouvoir de Ben Ali avait peur de toute manifestation, y compris pendant les matchs de foot ».
Le tournage du film a démarré sur l’avenue Habib Bourguiba à Tunis, épicentre de la révolte des Tunisiens. « J’avais des +snipers+ dans l’immeuble, c’était une urgence pour moi, il fallait tourner, la police, les gens qui couraient après des tirs lacrymogènes ».
Trois personnages emblématiques traversent le film: l’avocate réputée Radhia Nasraoui, la blogueuse Lina Ben Mhenni et un Tunisien ordinaire qui incarne selon Mourad Cheikh, l’homme du quartier qui « comme d’autres ont défendu leurs quartiers contre les pilleurs et les snipers ».
Un des personnages qui dit être « malade de sa Tunisie » lance la réplique phare du film: « Cette révolution n’est pas le fruit de la misère, mais plutôt le cri de désespoir d’une génération de diplômés. Ce n’est, ni la révolution du pain, ni celle du jasmin. . . Le jasmin ne sied pas aux morts, il ne sied pas aux martyrs. Cette révolution est celle du dévouement d’un peuple. . . Plus jamais on n’aura peur! ».
Cette réflexion, selon le réalisateur, incarne l’état d’esprit « des jeunes qui ont fait la première révolution de l’ère virtuelle et celui des plus âgés qui n’ont jamais cessé de braver la peur pour résister » à la dictature.
Pour le producteur du film, Habib Attia, la projection du film à Cannes ouvre l’espoir d’une « distribution sur le marché européen et des pays du Golfe », ajoutant que le film tourné en arabe a été sous-titré en français et en anglais.
Mourad, lui, évoque deux images fortes qui « restent gravées dans sa mémoire ».
La première, « deux jeunes policiers devant le cordon qui devait interdire l’accès de l’avenue Bourguiba aux manifestants ».
« Devant la foule qui chantait l’hymne national, ces deux jeunes ont commencé à pleurer, ils ont compris que leur place était avec les manifestants. Cette image je la vis à tout instant, leurs larmes ont déclenché les miennes ».
Ensuite, « j’ai vraiment pleuré », dit-il, quand « une amie m’a rapporté les dernières paroles d’un jeune blessé par balle + Je ne vais pas mourir et si je meurs je ne vais pas partir avant qu’il (Ben Ali) ne parte + ».
Le jeune homme est mort et Ben Ali a fui en Arabie Saoudite.
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