La Tunisie se cherche une justice post-révolutionnaire sans haine
Trois mois après la chute de l’ex-président tunisien Ben Ali, la justice avance à tâtons pour déterminer comment juger les acteurs de l’ancien régime en évitant tout esprit de vengeance, alors que la « rue tunisienne » réclame des têtes.
La question a été ravivée par l’exemple de l’Egypte, qui a fait sa révolution après la Tunisie, et où les procédures judiciaires contre l’ancien président Hosni Moubarak et ses fils se sont accélérées.
M. Ben Ali, son épouse et des proches ont réussi à fuir, quelques dizaines de personnes sont derrière les barreaux, d’autres acteurs du régime balayé le 14 janvier sont toujours en liberté.
Dix-huit actions sont intentées contre Zine El Abidine Ben Ali, réfugié en Arabie saoudite. Depuis le 8 avril, ses ex-ministres et conseillers sont interdits de quitter le pays, ainsi que les personnes impliquées dans des affaires de corruption.
Le dernier secrétaire général du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, le parti de Ben Ali dissous en mars) Mohamed Ghariani a été arrêté le 11 avril, et deux jours plus tard c’était au tour d’un ex-secrétaire général et ex-ministre du transport, Abderrahim Zouari, pour « détournement de fonds publics » et abus de pouvoir.
Une liste de personnes à arrêter circule aussi sous le manteau.
Mais, au sortir de 23 ans d’un régime basé sur le « flicage » de la population et la torture, les autorités de transition doivent trouver un juste milieu entre une chasse aux sorcières qui emporterait tous ceux « estampillés Ben Ali » quels que soient les degrés de responsabilité – tortionnaires, politiques, ou simples profiteurs – et une action résolue mais dont la lenteur serait sans doute perçue comme de la complaisance.
« Je ne crois pas à la justice expéditive et collective », dit à l’AFP le Premier ministre Béji Caïd Essebsi, y compris pour purger l’appareil judiciaire hérité de l’ancien régime. Il préconise juste un « coup de tamis ».
Plus récemment, déclarait-il à un hebdomadaire français, la justice « ne va pas aussi vite que nous l?aurions souhaité, mais je préfère cela à l?injustice ».
Une dizaine de magistrats connus pour leur « allégeance » au système Ben Ali ont récemment été démis, selon le ministre de la justice Lazhar Karoui Chebbi.
Mais, comment enquêter et poursuivre en justice les auteurs de crimes et d’abus commis sous Ben Ali sans esprit de vengeance et en respectant les droits de l’Homme et de la défense?
Récemment, des responsables politiques, des avocats et magistrats tunisiens et internationaux ont planché à Tunis sur la notion de « justice transitionnelle » avec pour thème « aborder le passé, construire le futur ».
La Commission indépendante « d’investigation sur les violations et abus » commis depuis le 17 décembre (la répression jusqu’au 14 janvier, ndlr) ne peut « aucunement remplacer l’institution judiciaire », a affirmé son président Taoufik Bouderbala, et son principal objectif est « la recherche de la vérité ».
Mais pour Mokhtar Yahyaoui, un avocat radié en 2001 pour avoir osé réclamer par écrit à Ben Ali l’indépendance de la justice, celle-ci n’est toujours pas libre: « tout est fait pour la maintenir sous la tutelle du pouvoir exécutif et avant de parler de justice transitionnelle il faudrait parler de justice tout court », dit-il à l’AFP.
En réclamant des procès équitables pour les anciens pontes du régime déchu, un autre avocat, Amin Ben Khaled, estime qu’ »en l’absence d’un minimum de droit, la brise révolutionnaire risque de devenir un ouragan totalitaire (. . . ) qui balaiera le fragile processus de transition démocratique ».
« La justice ne doit plus faire peur aux pauvres, mais à ceux qui ont le pouvoir. Nous avons connu le noir, nous allons vers le blanc », assure Me Yahyaoui.
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