Fournir des armes aux rebelles libyens : le risque islamiste
Les divergences au sein de la coalition internationale impliquée en Libye sur l’option d’armer les insurgés font resurgir le risque d’une prolifération d’armements qui pourraient tomber aux mains de mouvements islamistes, estiment des experts interrogés par l’AFP.
Dès le début de la révolte, les opposants au colonel Kadhafi se sont emparés d’arsenaux de Benghazi dans l’est de la Libye et les armes, jusqu’à présent plutôt vétustes, circulent dans la zone qu’ils contrôlent.
L’amiral américain James Stavridis, commandant suprême des forces alliées en Europe (Saceur), a évoqué le premier, fin mars, des « signes » de la présence possible de militants d’Al-Qaïda ou du Hezbollah dans les rangs rebelles.
Mercredi, c’est le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, qui a exclu que la coalition fournissent des armes aux rebelles libyens.
« L’est du pays a toujours été sous influence des Frères musulmans, c’est aussi là qu’un certain nombre de jihadistes ont été recrutés par Al-Qaïda et ont rejoint Ben Laden en Afghanistan », souligne Denis Bauchard, ancien ambassadeur de France en Jordanie, conseiller à l’Institut français des Relations internationales pour le Moyen-orient.
La rébellion libyenne est un ensemble hétérogène, qui agrège tous les opposants à Mouammar Kadhafi, dans un pays sans réelle tradition démocratique.
Or, en 40 ans de pouvoir, le colonel, qui prônait l’émancipation des femmes et aimait s’entourer d’une garde rapprochée de soldates en treillis, a brisé les schémas musulmans traditionnels et alimenté les foyers islamistes dans son pays.
« D’après des informations recueillies en Irak par les Américains en 2007, les Libyens représentaient, après les Saoudiens, le plus fort contingent des jihadistes. Il y a une filière libyenne vers Al-Qaïda », note Denis Bauchard.
Dès le début du conflit, le colonel Kadhafi avait d’ailleurs brandi la menace islamiste en cas d’intervention de la coalition internationale et accusé les rebelles de diriger un émirat islamique à Derna, entre Tobrouk et Benghazi.
Spécialiste des questions de défense et du monde arabe, Pascal Le Pautremat évoque pour sa part « un débordement de la crise libyenne sur les pays voisins ».
« Il y a des filières d’approvisionnement en armements venant d’Egypte, via les Frères musulmans, avec un soutien de gens du Hezbollah, et maintenant des gens du Hamas qui viennent acheter des armes dans cette zone », souligne-t-il.
Début avril, le mouvement islamiste palestinien a accusé Israël d’avoir tenté de tuer le chef de la branche armée du Hamas lors d’un raid aérien sur un véhicule qui a fait deux morts à Port-Soudan, rappelle-t-il.
Dans la mouvance islamiste, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui détient les otages français au Sahel, fait figure de groupuscule.
« Aqmi, c’est 300 bandits qui sont des contrebandiers avant d’être des islamistes. Qu’ils rejoignent la rébellion n’est pas stratégiquement très important », résume Richard Labérière, de la revue Défense de l’Institut des Hautes Etudes de la défense nationale.
Mais le groupe, spécialisé dans les enlèvements d’occidentaux contre rançon, dispose d’argent liquide et peut profiter du chaos libyen pour s’approvisionner en armes.
« Le risque, c’est que le vide politique qui s’est créé dans l’Est du pays ne soit comblé par les jihadistes. On l’a vu en Irak, on le voit au Yémen. Compte tenu de la crainte exprimée officiellement, je pense qu’on sera prudent dans nos livraisons éventuelles d’armes aux rebelles », note toutefois Denis Bauchard.
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