Mon père, ce mercenaire adoré et absent: la fille de Bob Denard raconte
Elle se dit victime des guerres qu’il a menées, mais elle a pardonné: à 38 ans, Katia, fille du mercenaire Bob Denard, a décidé de raconter son amour incandescent pour un « papa soldat » trop souvent absent, à l’insolite vie de famille et finalement emporté par la maladie d’Alzheimer.
« Je suis la fille d’un mercenaire, d’un aventurier, d’un +affreux+, d’un barbouze (. . . ) Je suis une victime de guerre, de ta guerre, papa », lance-t-elle dès le début de son livre « Si on te demande, tu diras que tu ne sais pas ».
Une formule consacrée chez les Denard, qui a bercé la jeunesse de cette brune menue, devenue psychanalyste après un passage salvateur sur le divan.
« J’ai entendu ça 10. 000 fois », sourit-elle, attablée dans un café parisien. Son père n’était pas bavard sur ses aventures, qui l’ont mené pendant trente ans d’Afrique continentale aux Comores, de coups d’Etat en opérations de déstabilisation.
Face à l’épais mur du secret, l’enfant se met à enquêter. Et découvre, à l’âge de sept ans, des liasses de billets et deux passeports où elle reconnaît la photo, mais pas les noms.
« Il croyait que je ne savais rien mais moi je fouillais partout », confie-t-elle.
Au fil des années, elle apprend aussi l’existence de frères et de soeurs, nés des multiples amours de Bob Denard.
« Ma famille, puisqu’il faut l’appeler comme ça, est un vrai bordel. Huit enfants et sept femmes », lance-t-elle crûment en décrivant ses réactions brutales à chaque nouvelle découverte, qui taquinent sa jalousie maladive de « petite fille oedipienne ».
Ces moments de rage féroce et les absences à répétition n’entament pas l’immense fierté qu’elle voue à sa « grande baraque » de papa, qui fait voler d’un coup d’épaule la porte des toilettes d’un hôtel parisien où elle était bloquée, « sous le regard effaré des bourgeoises », ou qui lui assure, pour expliquer son dernier coup d’Etat aux Comores en 1995: « J’ai pensé que ça te ferait plaisir de revenir te baigner dans les eaux de Galawa ».
« Dès que je disais qui était mon père, la première réaction des gens c’était: +Toi, faut pas te faire chier+ », sourit Katia, qui pouvait aussi compter sur la protection de ses « tontons », les compagnons d’armes de Bob Denard. Parmi eux, « crabe-tambour », surnom du commandant Pierre Guillaume, un camarade d’Indochine qui a participé au putsch d’Alger.
« Les amis des parents défilaient à la maison, comme dans une famille normale. Sauf qu’ils appelaient papa +patron+, ou +colonel+, un surnom donné par Mobutu au Congo Belge, je crois ».
Ironie du sort, c’est à la prison de la Santé qu’elle voit régulièrement son père, provisoirement écroué à deux reprises, en 1993 et en 1995.
Injuste, dénonce Katia, selon laquelle « il ne partait jamais sans le feu vert du gouvernement français ». Qu’importe les dires de ses détracteurs, qui l’accusaient d’affairisme et de liens avec l’extrême droite.
Bob Denard, finalement condamné en 2006 à cinq ans avec sursis pour son ultime tentative de coup d’état aux Comores, n’assistera pas au jugement, rattrapé par la maladie d’Alzheimer.
« Quand il a compris qu’il ne repartirait plus, il s’est mis à vieillir d’un coup », raconte Katia, qui a enterré son père en 2007. « Il le disait lui-même: +l’enfer et la jungle, pour moi, c’est ici+ ».
Aujourd’hui, maman de deux petites filles, elle se dit apaisée, même si son père ne lira jamais ce livre qui lui était destiné. Son conjoint est dans le marketing, « rien à voir avec le mercenariat ».
« J’ai choisi un père qui sera toujours présent pour ses filles. Le contraire du mien », souffle-t-elle.
(Si on te demande, tu diras que tu ne sais pas, Ed. Anne Carrière, 217 pages, 17 euros)
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