Tunisie: les plaies « mentales » explosent dans l’ère post-Ben Ali
Hospitalisé dans une clinique de Tunis pour dépression, Ahmed, ancien employé de la famille de Leïla Trabelsi, l’épouse de l’ex-président Ben Ali, dit avoir « craqué » par peur de représailles et sous la pression de proches du Raïs déchu de Carthage.
Ahmed, la cinquantaine, raconte d’une voix à peine audible à l’AFP avoir reçu plusieurs appels téléphoniques de « proches de Leïla », la femme la plus détestée de Tunisie, après la fuite du président déchu et de ses proches en Arabie saoudite.
Ces « proches de Leïla » lui demandaient de faire le nécessaire « pour protéger » une de leurs maisons à Sidi Bou Saïd, une banlieue chic au sud de Tunis.
Puis, se souvient-il, « des prisonniers se sont évadés dans un quartier populaire » près de Tunis.
« J’étais chez moi avec mes filles quand des prisonniers ont encerclé ma maison. J’ai entendu des tirs. J’ai eu tellement peur que j’ai pris mon fusil de chasse, sans munitions, pour leur faire peur ». Ahmed, dit ensuite, avoir passé « quatre nuit blanches de peur qu’ils reviennent » avant de « craquer » et d’être hospitalisé.
En pleine dépression, il a dit avoir encore reçu de nombreux appels de « proches de Ben Ali » alors qu’il était alité, mais il a « refusé de répondre ». « Je dois être fort pour guérir ». Un ami à son chevet lui dit: « Tu te souviens quand je te disais il faut faire attention, ces gens vont nous rendre fous, et voilà le résultat ».
Plus de deux décennies de terreur orchestrées par le régime policier de Ben Ali qui a enchaîné filatures, menaces, emprisonnements, délations et tortures, ont laissé des traces durables sur les Tunisiens, dont une grande partie se dit « broyée psychologiquement ». La chute de Ben Ali a favorisé l’émergence d’ »une multitude de cas de dépressions nerveuses, de troubles psychologiques et de symptômes anxieux », explique à l’AFP un psychiatre tunisien, le Dr Habid Nouredine.
« Nous assistons, dit-il, à l’apparition d’un stress post-traumatique social, il s’agit non seulement de troubles anxieux très importants, mais également des compensations dépressives dans cette période de latence ». « Suivant l’ampleur des symptômes qui peuvent aller d’une simple anxiété à des épisodes délirants ou des phobies, les traitements anti-dépresseurs sont relayés par une psychothérapie », précise-t-il.
« C’était calme la première semaine de ce point de vue après la révolution tunisienne, mais il y a maintenant de plus en plus de cas d’hospitalisation pour des problèmes psychiatriques », dit-il. Ces personnes, selon le médecin, sont hospitalisées dans des cliniques ordinaires faute d’établissements psychiatriques à Tunis.
Selon un autre psychiatre, il y a également « des soins à domicile pour des gens qui ont soutenu Ben Ali et qui se terrent chez eux ».
La chute de Ben Ali « est un grand facteur de stress, d?autant que cet incident était imprévisible, du moins par son ampleur et son timing. Cela exige (. . . ) des stratégies efficaces de gestion du stress », explique un autre psychiatre de Tunis, le Dr Fethi Touzri.
« C?est aussi, selon lui, un moment de grande sollicitation émotionnelle du fait de la sédimentation de 23 ans d?un régime qui n?a pas été amène avec tout le monde. La représentation sociale du régime et de sa chute sont de ce fait de grands bouleversements mentaux ».
Il semble que « les populations qui ont beaucoup souffert ou qui ont subi des abus et des atteintes à leurs droits fondamentaux seront les plus affectées, mais ce qui est déterminant, c?est d?une part la +quantité+ de souffrances mais surtout comment ces souffrances ont été infligées et comment elles ont été perçues ».
Dans les rues de Tunis, qui ont balayé l’ancien régime à coup de manifestations, il n’est pas rare de voir des Tunisiens perdus dans leurs monologues.
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