A l’hôtel Africa de Tunis, piquet de grève 5 étoiles « pour la dignité »

« Excellent hôtel, situé au coeur de la ville moderne » vante le guide: l’Africa, palace mythique au coeur de Tunis, a des allures de paquebot échoué. Depuis quatre jours, les employés se relaient jour et nuit pour tenir le piquet de grève, au nom de la « dignité ».

A l’hôtel Africa de Tunis, piquet de grève 5 étoiles « pour la dignité » © AFP

A l’hôtel Africa de Tunis, piquet de grève 5 étoiles « pour la dignité » © AFP

Publié le 10 février 2011 Lecture : 3 minutes.

« Grève générale », « Désolé cher client, c’est la direction qui veut ça »: les messages s’affichaient partout jeudi, en français et en arabe, aux branches des ficus du hall d’entrée, dans les ascenseurs, les couloirs et jusque dans la salle du buffet du premier étage — 300 couverts — désormais déserte.

Dès mercredi soir, les clients ont été priés de partir. « L’hôtel n’est plus en mesure d’assurer la sécurité des clients », récitait un sous-directeur. Pas un mot sur le conflit social qui a conduit la direction à fermer l’hôtel.

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« On est dans un bras de fer très dur. Plutôt que de négocier, la direction a décidé de fermer. Alors on occupe », explique Slim Khouitmi, 34 ans, maître d’hôtel.

La tour de l’Africa, épine moderne de 22 étages entre les balcons crémeux des façades coloniales de l’avenue Habib Bourguiba, a longtemps bouillonné des luttes du monde arabe. Les stars y descendaient, les grands patrons s’y voyaient pour un « capucin », l’expresso typiquement tunisien avec juste une perle de lait.

L’hôtel a abrité des centaines de conférences mais aussi des conciliabules secrets quand la Ligue arabe et l’OLP de Yasser Arafat avaient leurs sièges à Tunis. Mais c’est la première fois qu’il conduit sa propre révolution.

Sur 190 employés, seuls 9 sont en CDI, affirment les grévistes, qui demandent des CDI pour tous ceux qui ont plus de quatre ans d’ancienneté « comme le veut la loi », et une hausse des salaires.

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« Une femme de chambre touche 300 dinars (155 euros) par mois, même pas le prix d’une nuit à l’hôtel en saison creuse », affirme Hatem Ouled Cherifa, un comptable de 27 ans, soulignant que l’Africa n’est « qu’un des 19 hôtels de la chaîne du PDG ».

« L’hôtel fait entre 55. 000 et 90. 000 dinars (28. 000 à 46. 000 euros) de chiffres d’affaires par jour. Ces quatre dernières années, le taux d’occupation est de plus de 90% », détaille-t-il. « On devait avoir une prime, mais elle a été annulée à cause de la grève. « 

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« Le patron, je crois que sa calculatrice, il l’aime plus que sa femme », lâche un jeune apprenti de cuisine, qui se souvient des heures à attendre dans le froid les premiers bus du matin parce que « le patron ne paye jamais les transports ».

Ils sont fatigués, écoeurés par « des années de mépris » et de « flicage », et veulent eux aussi leur part de la révolution, qui a mis fin le 14 janvier au règne de Zine El Adidine Ben Ali.

Le patron était « intouchable parce qu’il avait ses entrées au palais de Carthage ». Jusqu’au bout, racontent-ils, il a essayé de les « rabaisser ».

« On a écrit une lettre et on l’a glissée sous la porte de son bureau le 24 (janvier) au soir. Le lendemain les interrogatoires ont commencé », raconte Mohamed Zied Bellalouna, technicien de 38 ans.

« Il a convoqué tous les services en commençant par le commercial parce qu’il ne pouvait imaginer que les cuisiniers étaient capables d’écrire des revendications aussi claires », poursuit-il.

Installés dans les fauteuils en cuir crème du hall, les grévistes jouent aux cartes, fument, somnolent. Ils ont apporté des provisions de biscuits et des bouteilles d’eau. Pas question d’aller se servir en cuisine ou de squatter une chambre. « C’est un 5 étoiles, quand même! ».

Ils n’ont aucune idée de ce qu’ils vont devenir, mais sont décidés à « tenir ».

Slim n’a « confiance en personne » mais est « prêt » à donner une chance au président intérimaire Foued Mebazaa qui a annoncé mercredi au pays de prochaines négociations salariales.

« On dirait qu’on sort d’une guerre. Il faut tout reconstruire. Tout ce que je fais, c’est pour ma fille de 2 ans et demi, pour qu’elle ait un avenir dans ce pays. « 

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