Au Rwanda, le français, longtemps mis de côté, fait un discret retour
« Education breeds confidence, hope and peace ». Dans le centre de Kigali, l’ONG Plan vante, en grand et en anglais, les vertus de l’éducation pour la « confiance, l’espoir et la paix ». L’affiche est traduite en kinyarwanda. Pas en français.
Quasiment inusité avant le génocide de 1994 et l’arrivée au pouvoir de Paul Kagame, l’anglais a progressivement gagné en puissance dans l’ex-colonie belge. Certains prédisaient même la disparition du français. Qui effectue pourtant aujourd’hui un discret retour.
L’annonce de Plan est un exemple parmi d’autres: devantures et affiches ont adopté l’anglais dans la capitale. Quand le soleil se lève sur le petit pays d’Afrique centrale, ce n’est plus « Bonjour » mais « Good morning » que les enfants lancent aux étrangers.
C’est Paul Kagame, arrivé au pouvoir à la tête d’une rébellion basée en Ouganda anglophone et lui-même davantage à l’aise dans la langue de Shakespeare que celle de Molière, qui a propulsé l’anglais langue officielle.
Le français, comme le kinyarwanda, seule langue parlée par toute la population, est restée langue officielle. Mais il a perdu du terrain à mesure que les relations entre le Rwanda et la France, accusée par Kigali d’avoir joué un rôle dans le génocide, se dégradaient.
En 2008, Kigali a remplacé le français par l’anglais comme langue d’enseignement obligatoire dans le public. L’année suivante, le pays, toujours membre de la Francophonie, rejoignait le Commonwealth.
– Frustration –
Ces changements ne se sont pas faits sans mal, notamment pour les enseignants, largement francophones.
« J’arrive à enseigner en anglais maintenant, mais je ne peux pas dire que j’enseigne efficacement », reconnaît Laurent, professeur de sciences humaines. « La plupart des enseignants mélangent l’anglais et le kinyarwanda pendant les cours ».
Assis derrière son ordinateur du kLab, centre pour jeunes entrepreneurs, Pacome Munyaneza, reconnaît l’utilité de l’anglais pour travailler avec les voisins kényans ou ougandais.
Mais son apprentissage lui a « demandé beaucoup d’énergie » pour un résultat médiocre: « je suis (d’un niveau) moyen dans les deux langues », estime-t-il, regrettant d’avoir « perdu (son) français ».
L’abandon du français en a aussi frustré certains, qui se sont sentis marginalisés.
« Lorsque l?anglais est devenu une langue dominante (. . . ) j?étais sans emploi et je n?ai pas pu rejoindre l’administration (car) vous étiez obligés de passer le test en anglais », raconte un journaliste francophone. « J’ai été écarté et j?ai rejoint la presse privée ».
Il y a aussi les nostalgiques du français, langue surtout parlé par une élite avant 1994.
« C?est un acquis que l?on voudrait sauvegarder », dit un Rwandais né au Burundi, ex-colonie belge restée très francophone, et revenu après le génocide.
« C’est un univers de pensée et de symboles », renchérit le journaliste, énumérant ses références littéraires – « Racine, Voltaire, Camus. . . « .
Pour Pacome Munyaneza, le français a aussi une valeur sentimentale : « Mon grand-père et ma grand-mère utilisent quelques mots de français dans leurs phrases en kinyarwanda. Dans notre village, nous avons grandi avec le français (. . . ) Je ne peux pas souhaiter le perdre. «
Pour la défense du français, ces nostalgiques avancent son côté pratique: mieux vaut parler deux langues étrangères. D’autant que le Rwanda est entouré de pays anglophones et francophones.
– ‘Revirement’ –
Signe de temps qui changent à nouveau, l’argument est repris par les anglophones.
« Pour être compétitifs sur le marché du travail nous devons pouvoir parler les deux langues », reconnaît Pierre Mugisha, laborantin né en Ouganda qui apprend le français.
Autre changement: en 2016, une heure de cours de français par semaine sera réintroduite dès la 4e année de primaire.
« On a constaté que (les élèves) n?ont pas de bagage suffisant » à la sortie du secondaire pour faire des études supérieures en français, explique Joy Musabe, chef des programmes scolaires au ministère de l’Education.
Elle se défend d’un rétropédalage mais Evariste Ntakirutimana, de l’Université nationale du Rwanda, note que « le revirement est sensible »: le gouvernement a entendu « les réclamations tacites » des Rwandais favorables à la diversité linguistique.
Ce début de retour en grâce est cependant loin de refléter les relations franco-rwandaises, qui se sont même encore refroidies en avril quand le président Kagame a de nouveau accusé la France de participation au génocide.
Dans la foulée, Kigali fermait le centre culturel français, invoquant un problème d’urbanisme. Les cours de français qu’il dispensait se déroulent depuis dans l’école française.
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