Somalie: l’impasse, ou presque, après vingt ans de guerre civile
La Somalie subit depuis vingt ans ce qui devient la plus longue guerre civile en Afrique: une descente aux enfers que seul un changement de cap de la communauté internationale pourrait – peut-être – arrêter, estiment des analystes.
Le 26 janvier 1991, le général Siad Barre, porté au pouvoir par un coup d’Etat en 1969, est destitué.
Cet autocrate qui rêvait de s’affranchir des clans et de libérer les femmes tombe sous les coups d’une guérilla venue du nord, sur fond de répression féroce et de crise économique aiguë.
Commencent deux décennies de déchirements internes et d’interventions militaires étrangères infructueuses. Mais si les guerres qui ont ensanglanté pendant à peu près aussi longtemps l’Ouganda, l’Angola ou le Soudan ont trouvé une issue plus ou moins durable, des combats opposent quasi-quotidiennement à Mogadiscio les milices islamistes shebab aux 7. 500 soldats dépêchés par l’Union Africaine au secours d’un très virtuel « gouvernement transitoire ».
De nombreux Somaliens mettent volontiers la guerre sur le compte du morcellement du pays en une arborescence complexe de clans et sous-clans. « L’opposition (à Siad Barre) était affiliée à un clan, comme le régime de Barre lui-même. Toute politique fondée sur les clans constitue le plus sûr moyen de perpétuer le conflit », estime Abdirazak Said, un dignitaire religieux de Mogadiscio.
Pour le chercheur Roland Marchal (Sciences Po et CNRS), « la Somalie s’est construite en bénéficiant de la rente diplomatique et économique de la guerre froide (. . . ) Quand tout cela s’est achevé, (le pays) est devenu très difficile à soutenir ».
Parrainé d’abord par l’URSS, Siad Barre s’était tourné en 1977 vers les Etats-Unis. « Quand commence la guerre civile en Somalie, ce pays n’est pas important car il n’y a plus d’URSS (. . . ) La communauté internationale a été très divisée et assez dilettante dans sa gestion de la Somalie. C’est le jour et la nuit avec ce qu’on a fait avec le Soudan », estime M. Marchal.
Après le fiasco de l’intervention américaine sous mandat de l’Onu en 1993, la communauté internationale se contente d’une aide humanitaire et financière au profit de ce qui est devenu un +failed State+, un Etat en déliquescence.
Mais les mouvements islamistes, nés du malaise social des années 80, gagnent en puissance militaire, et prennent brièvement Mogadiscio en 2006. Aujourd’hui les shebab, ralliés à Al-Qaïda, occupent l’essentiel du sud et du centre du pays.
« Il y a maintenant un enracinement régional d’Al-Qaïda grâce à la crise somalienne qui ne peut que soulever beaucoup d’inquiétude chez les Occidentaux, pas prêts à accepter que Nairobi ou Zanzibar deviennent des cibles du jihadisme international », relève M. Marchal.
Pour le chercheur J. Peter Pham, la communauté internationale doit d’urgence innover. Toute aide à un gouvernement se prétendant centralisé revient « à vouloir réanimer un corps décédé depuis deux décennies ». « Mieux vaut s’adapter à la nature décentralisée de la réalité sociale somalienne » et soutenir les pouvoirs locaux et régionaux partout où ils sont légitimes. A commencer par le Somaliland, dont l’indépendance du reste de la Somalie n’a été reconnue par personne depuis 1991.
« Comme pour l’Afghanistan, il apparaît très clairement la nécessité qu’il faut réfléchir à quelque chose d’autre », renchérit M. Marchal, qui estime inéluctable une forme de dialogue avec les islamistes.
La guerre aurait fait 400. 000 morts, selon une estimation jugée prudente par les experts. 1,4 million de personnes sont déplacées dans leur pays, 570. 000 réfugiées à l’étranger. L’espérance de vie est inférieure à 50 ans.
A Mogadiscio, le colonel Mohamed Adan, un responsable des services de sécurité, se souvient avoir contribué à la chute de Siad Barre. « Nous avions rejoint la guérilla pour renverser un régime militaire qui avait beaucoup de défauts. Mais ce qui a suivi a été un million de fois pire », soupire-t-il.
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