Tunisie: les « diplômés-chômeurs », symptôme d’une économie en manque de réformes
Slim Shimi a beau avoir une maîtrise en géographie, il est depuis cinq ans serveur dans un café. Un cas symptomatique des maux de l’économie de la Tunisie, où plus du tiers des chômeurs ont des diplômes universitaires.
« Il y a des diplômés comme moi qui sont devenus des vendeurs ambulants de vêtements, d’autres qui font de la contrebande. Nous n’avons pas le choix », lâche Slim.
« Revenez l’après-midi », ajoute ce jeune homme de 36 ans qui travaille dans un café du centre-ville de Tunis. « Vous verrez des chômeurs diplômés d’écoles d’ingénieurs, ou en informatique et en communication. Des branches censées être demandées sur le marché du travail ».
Selon des chiffres officiels, la Tunisie compte plus de 600. 000 chômeurs (soit 15% de la population active), dont 240. 000 sont diplômés de l’enseignement supérieur.
Chaque année, près de 60. 000 personnes sortent des universités tunisiennes. Et les titulaires de diplômes en sciences humaines ou en langue arabe ne trouvent un travail qu’à grand-peine, en raison de problèmes structurels qui nourrissent toujours les tensions sociales.
Car près de quatre ans après la révolution qui a renversé le régime autoritaire de Zine El Abidine Ben Ali et qui était en grande partie motivée par le chômage et la misère, aucune réforme d’envergure n’a été engagée.
Et si les questions socio-économiques ont été un grand thème lors des campagnes pour les législatives d’octobre et la présidentielle du 23 novembre, les programmes des différents partis et candidats sont restés très flous sur ces questions.
– ‘Inadéquation’ –
Jean-Luc Bernasconi, économiste en chef à la Banque mondiale à Tunis, souligne l’urgence de corriger « l’inadéquation » entre formation universitaire et marché du travail.
« La révolution est un processus qui va continuer encore longtemps, bien certainement », affirme-t-il à l’AFP. « Mais il faut que la question économique, peut-être négligée ou laissée de côté dans un premier temps, soit prise à bras le corps parce que les défis économiques sont là et s’aggravent dans certains cas ».
D’après lui, « la difficile intégration » des diplômés sur le marché du travail est surtout due à l’absence de formations ciblant les compétences recherchées par les entreprises.
« Des entreprises se plaignent de ne pas trouver de compétences, il y a donc un travail qualitatif à faire au niveau de l’enseignement supérieur » et de la formation professionnelle, explique-t-il.
Dès lors, selon la Banque Mondiale, les emplois créés en Tunisie sont dans leur majorité peu ou pas qualifiés (assemblage, ateliers de coutures etc. ) et ne peuvent satisfaire les centaines de milliers de chômeurs diplômés de l’enseignement supérieur.
« Les gens qui ont des diplômes se retrouvent dans des emplois, dans des compétences pour lesquelles ils n?ont pas été formés, c?est ce que l?on appelle l?inadéquation ou le sous-emploi », explique M. Bernasconi.
Et face à l’ »incapacité du secteur privé à offrir des postes aux diplômés de l’enseignement supérieur, le secteur public est devenu la seule source d’emploi pour ces diplômés », regrette la Banque dans un récent rapport.
Dès lors, des chefs d’entreprise souhaitant recruter localement les compétences dont ils ont besoin doivent engager eux-mêmes le temps et les dépenses nécessaires pour former leurs nouvelles recrues.
« Ce n’est pas facile de créer cette valeur ajoutée en Tunisie. Il a fallu passer par la formation de nos ingénieurs pour pouvoir ensuite développer des solutions à valeur ajoutée (. . . ) Ce qu?on souhaite, c?est que ce soient plutôt les autorités qui prennent en charges ces formations », déplore Mohamed Chouchane, directeur de NGI Maghreb, une société spécialisée dans la cartographie et la navigation satellitaire.
Le diagnostic est le même chez Slim, le garçon de café : « cela s?explique par 20, 30, 40 ans de cumul d?erreurs de l?État (. . . ), qui continue malheureusement dans ses erreurs parce qu?il n?y a pas de programme clair ».
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