Avec le « camfranglais », les jeunes Camerounais inventent leur langage

« +Kolo, kolo+ collants ! », lance au milieu d’une marée humaine Roméo Djoumené, marchand ambulant au très populaire marché Mokolo de Yaoundé, essayant d’attirer des clients en parlant « camfranglais », langue hybride mêlant français, anglais et langues locales du Cameroun.

Avec le « camfranglais », les jeunes Camerounais inventent leur langage © AFP

Avec le « camfranglais », les jeunes Camerounais inventent leur langage © AFP

Publié le 20 octobre 2010 Lecture : 2 minutes.

« Les femmes qui passent en ce moment, comprennent aisément que je leur propose (une paire de collant) à 1. 000 FCFA (1,52 euro). +Kolo+ c’est 1. 000 FCFA », explique Roméo, brandissant un mannequin portant un prototype de ses articles.

Au Cameroun, unique pays officiellement bilingue français/anglais au sud du Sahara, les jeunes sont très attachés au camfranglais, mélange de français, d’anglais, de « pidgin-english » (sorte de créole anglais local) et dans une moindre mesure des langues locales.

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Le pays en totalise 248, en plus de quatre langues hybrides, dont le camfranglais, indique Laurain Assipolo, sociolinguiste.

« Le camfranglais est né du contact entre l’anglais et le français » au lendemain de la réunification, en 1972, des parties anglophones et francophones du pays », explique M. Assipolo.

« Les chercheurs pensent qu’il y a dans le développement du camfranglais une volonté d’indépendance vis-à-vis du français métropolitain, et que les jeunes revendiquent leur identité » en y ayant recours, analyse-t-il.

« Je m’exprime en camfranglais parce que c’est la langue que les jeunes utilisent dans mon environnement, au quartier comme à l’établissement » (scolaire), revendique Alice Mbenoun, étudiante. « Lorsque tu parles le +français de Molière+ (français soutenu), tu deviens l’objet de moquerie constante » des camarades, précise-t-elle.

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Invitée à prononcer quelques phases en camfranglais, Alice n’hésite pas un seul instant: « je n’ai rien +ya+ » (compris), « gars, ta +mater+ (mère) est là? », « la +baby+ (prof) veut +joss+ (dire) quoi aux gens (élèves)? », « gars, je viens de +tuer la way+ (je viens d’avoir des rapports sexuels avec une fille), et maintenant, je la +rythme+ (la raccompagne) ».

« Cette langue est trop instable: elle n’a pas une structure qui résiste à l’épreuve du temps, ses schémas syntaxiques et morphologiques ne sont pas réguliers », note M. Assipolo.

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En plus, « elle évolue constamment et assez vite: le camfranglais que vous entendez aujourd’hui ne sera plus le même dans deux ou trois mois », précise-t-il.

Cette langue est devenue tellement populaire chez les francophones que plusieurs sociétés l’utilisent de plus en plus pour leurs campagnes publicitaires.

Des artistes locaux ont aussi compris la nécessité de faire des chansons en camfranglais. C’est le cas du rappeur Koppo dont le premier album, « Je go (je pars) », sorti en 2004, a été un succès au Cameroun.

« Si tu vois ma +ngo+ (copine, de girl), dis-lui que je +go+/Je +go+ chez les +Watt+ (Blancs) nous +falla+ (chercher) les +do+ (argent)/La galère du Kamer (Cameroun) toi-même tu +know+ (sais) », chante-t-il dans un des titres.

En dépit de sa percée, le camfranglais divise les linguistes.

Tandis que certains y voient une piste à explorer pour aboutir à une future langue camerounaise, d’autres estiment que rien ne peut en être tiré du fait de son instabilité et de son manque d’homogéniété.

En attendant que le débat soit tranché, le grand « sassayé (braderie) » se poursuit au marché de Mokolo. Pour s’y rendre, on a le choix entre prendre le « tako (taxi) » ou « Johnny » (marcher). . . comme le personnage sur la marque de whisky qui donne son nom à ce verbe camfranglais.

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