Côte d’Ivoire: Aïcha, 11 ans, héroïne malgré elle de la lutte contre le mariage précoce

Aïcha se cache sous son pupitre à l’arrivée d’un journaliste de l’AFP dans sa classe. La timide jeune fille est devenue malgré elle l’héroïne d’un mini-feuilleton judiciaire: son père est le premier Ivoirien jugé pour mariage précoce.

Côte d’Ivoire: Aïcha, 11 ans, héroïne malgré elle de la lutte contre le mariage précoce © AFP

Côte d’Ivoire: Aïcha, 11 ans, héroïne malgré elle de la lutte contre le mariage précoce © AFP

Publié le 28 octobre 2014 Lecture : 4 minutes.

Officiellement âgée de 11 ans, de 14 ans en réalité selon son père, Aïcha (son prénom et celui de son père ont été modifiés) était promise à un cousin faisant plus du double de son âge, qu’elle avait accepté comme époux, a-t-elle raconté à la police, selon un procès-verbal lu par l’AFP. « Cela a été possible parce que je ne veux pas aller à l’école. « 

Mi-octobre, les forces de l’ordre, alertées par une ONG, l’ont retrouvée, « un voile sur la tête » durant son mariage, précise le document. Son père Hamed a été conduit au poste. L’époux, représenté par sa famille, n’était pas présent à la cérémonie.

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L’union d’une mineure avec un homme plus âgé se révèle d’une désespérante banalité dans 41 pays au monde, dont 30 en Afrique, pointe l’ONU.

La Côte d’Ivoire, qui fait partie des cancres dans le domaine, voit 12% de ses filles mariées avant l’âge de 15 ans et 36% avant l’âge de 18 ans, d’après un rapport du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) à paraître prochainement.

Le cas d’Aïcha diffère pourtant par son dénouement. Hamed, le père, gardé à vue depuis 10 jours, a été jugé pour « union précoce et forcée » le 22 octobre à Bouaké (centre). Il s’agit du premier procès du genre dans le pays.

Le parquet a requis un an de prison ferme et une amende, affirmant s’être montré « clément » tout en envoyant « un signal fort » aux Ivoiriens, afin qu’ils « dénoncent ce genre de pratique », selon la substitut du procureur Rosine Koné.

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« Les mariages précoces ou forcés, ce sont des choses qu’on justifie par la tradition, la moralité ou la religion », reconnaît-elle. Mais dorénavant, « chaque fois que nous serons informés, nous irons jusqu’au bout ».

Hamed connaîtra sa peine mercredi.

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Durant l’audience, les échanges ont semblé opposer des habitants de planètes éloignées, aux valeurs diamétralement opposées, le droit se heurtant à la coutume séculaire.

« Moralement, même en dehors de la loi, quand vous voyez votre fillette de 11 ans, pensez-vous qu’on peut la donner en mariage? », a questionné Rosine Koné. « Elle n’a pas 11 ans mais 14 », a rétorqué le père, affirmant ne pas savoir « que le mariage était interdit aux mineurs ».

– ‘Comme un commerce’ –

Hamed aurait volontairement diminué l’âge de sa fille car celle-ci est mentalement « un peu lente », explique son entourage.

Vue dans sa classe de CM2, Aïcha, à l’allure de frêle adolescente dans son uniforme scolaire bleu à petits carreaux blancs, foulard noir sur la tête, paraît effectivement bien plus âgée que ses camarades.

« C’est la religion musulmane qui recommande cela. Elle dit que quand la femme a ses premières menstrues, elle peut se marier. Le prophète a marié notre mère à l’âge de 9 ans », affirme Moussa Touré, le frère du prévenu.

« Je suis moi-même un enfant dans une grande famille africaine », se justifie le père, un tailleur de 37 ans. « C’est ma famille qui a pris cette décision. J’aurais pu m’opposer, mais ma fille était consentante. Aujourd’hui, je me demande si c’était vraiment le cas. « 

Hamed a été arrêté car le directeur de l’école d’Aïcha l’a signalée à une ONG, Jakawili (« Solidarité » en langue malinké), qui a ensuite averti la police.

A son retour en classe il y a une semaine, « ce n’était pas du tout facile pour elle. Il a fallu (. . . ) la rassurer et lui dire que ce qui s’est passé n’est pas de sa faute », témoigne le chef d’établissement, Baba Coulibaly.

Les parents disent généralement marier leurs filles jeunes pour éviter des grossesses hors mariage, synonymes de honte pour la famille, explique Martin Kouassi, coordonnateur des projets de l’ONG, qui indique avoir empêché sept unions précoces cette année, contre 20 en 2013.

« En réalité, ils préfèrent les marier à de riches commerçants pour être à l’abri du besoin. C’est comme un commerce qui ne dit pas son nom », peste-t-il.

Les mariages précoces, outre la déscolarisation systématique qu’ils engendrent pour la jeune épouse, provoquent notamment des grossesses précoces et à répétition, engendrant une hausse de la mortalité maternelle.

Si le procès du père d’Aïcha consacre « l’aboutissement d’un long processus de plaidoyer », se félicite Pauline Kouyé, du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), la partie est loin d’être gagnée.

Quand la justice ivoirienne a commencé à pénaliser l’excision, celle-ci a perduré, mais plus discrètement – « non dans le cadre habituel, lors de cérémonies d’initiations » sur des adolescentes, mais « contre des bébés », relève-t-elle.

De la même manière, les gens trouveront des moyens de « contourner la loi sur les mariages d’enfants », prédit Mme Kouyé.

Le FNUAP a formé 205 chefs communautaires pour éviter cela, en espérant que cette pratique traditionnelle progressivement s’estompe.

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