L’Ordre national des ingénieurs en génie civil du Cameroun (ONIGC) accuse la faculté de génie industriel (FGI) de Douala de ne pas disposer de l’équipement adéquat pour former correctement ses étudiants. Pour son doyen, ces allégations ne sont pas légitimes.
Depuis début mars, l’université de Douala voit sa crédibilité remise en cause. La faculté de génie industriel (FGI) de l’université publique camerounaise est accusée par l’Ordre national des ingénieurs en génie civil (ONIGC) de ne pas former de véritables ingénieurs. Ce dernier a par conséquent retiré l’autorisation d’exercer à 15 diplômés de l’établissement. Le différend a pris une telle ampleur à Douala, qu’il finit par remettre en question l’ensemble du système d’évaluation de la qualité de ces formations dans le pays.
Autorisation
Tout débute en 2014, lorsque, fraîchement diplômée, la première promotion de la FGI décide de s’inscrire au tableau de l’Ordre des ingénieurs en génie civil, une reconnaissance délivrée par l’organisme – sur mandat du ministère de l’Enseignement Supérieur – qui leur permettrait de travailler sur des commandes publiques.
« À l’époque, nous n’avions pas été informés de la création de cet établissement, malgré son caractère public », explique Kizito Ngoa, président de l’ONIGC. Sur le moment, l’ONIGC décide donc d’attribuer un accord provisoire aux jeunes ingénieurs en attendant un complément d’information venant de la faculté.
École d’ingénieurs ou faculté ?
« Les retours apportés n’ont pas été satisfaisants. Nous avons constaté des irrégularités sur la forme juridique de la FGI : elle ne se déclare pas précisément comme une école d’ingénieurs et délivre des diplômes dont la mention [ingénieur industriel, spécialité génie civil, NDLR] n’existe nulle part et n’est formellement pas possible », explique Kizito Ngoa. Selon lui, un ingénieur ne peut être à la fois spécialisé en génie industriel, une expertise qui se consacre à l’optimisation des performances globales d’une entreprise et en génie civil, qui concerne la conception et la construction d’infrastructure techniques.
Mais Robert Nzengwa, doyen de la FGI, rejette en bloc cet argument : « Cet organisme [l’ONIGC, Ndlr] refuse de voir que les choses ont changé, qu’il n’y a pas que les écoles d’ingénieurs qui délivrent des diplômes d’ingénieurs. Prenez l’exemple des États-Unis, des milliers d’ingénieurs y sont formés et aucun ne sort d’une école d’ingénieurs à proprement parler », souligne-t-il. Pour prouver la qualité des enseignements dispensés dans sa faculté, le professeur Nzengwa souligne l’adéquation des programmes aux recommandations de l’Unesco et à celles du programme Tuning Africa, un réseau universitaire financé par l’Union Européenne et l’Union Africaine dont l’objectif est notamment d’harmoniser les diplômes africains en génie civil.
Manque de moyens ?
Mais dans les conclusions de leur audit, les équipes de l’ONIGC notent également que la faculté ne dispose pas du matériel nécessaire au bon apprentissage des étudiants et que l’effectif enseignant est insuffisamment qualifié.
Un reproche botté en touche par Dieudonné Ekouta, enseignant vacataire à la FGI : « J’ai été moi-même formé à l’école polytechnique de Yaoundé, mes collègues sont ingénieurs des mines ou des ponts de Paris, le niveau de l’enseignement n’est donc pas un problème », assure-t-il. Il reconnaît néanmoins devoir se déplacer avec sa classe à l’École normale supérieur de l’enseignement technique (Enset) voisine pour profiter des laboratoires lors des séances de travaux pratiques. « Mais l’école a récemment décroché un financement qui servira à mieux équiper les laboratoires », rassure-t-il.
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Interdiction d’exercer ?
Faisant fi de cette défense, l’ONIGC a décidé en octobre 2016 d’exclure du tableau de l’Ordre national des ingénieurs en génie civil, les 15 premiers diplômés de la Faculté de génie industriel de Douala et plusieurs centaines de diplômés d’autres établissements. Une punition qui n’empêche pas ces derniers d’exercer en tant qu’ingénieur industriel dans le secteur privé : « Ces étudiants, je les connais puisque je les ai formés. Ils sont déçus parce qu’ils ne peuvent plus travailler dans des entreprises dont les clients sont des organismes publics. Mais cela ne les empêche pas du tout d’être ingénieur civil pour le secteur privé », rappelle Robert Nzengwa.
Un débat qui prend de l’ampleur
Quelques mois avant l’exclusion d’ingénieurs, en janvier 2016, l’organisme, qui a fait remonter pendant l’audit de la FGI ses observations au ministère de l’Enseignement Supérieur, a été mandaté par celui-ci pour rédiger un rapport sur la qualité des formations d’ingénieurs camerounaises. Onze établissements, dont quatre publics ont été audités. Une version provisoire du rapport a été présentée au ministre par Kizito Ngoa fin 2017 : « Aujourd’hui, la balle est dans leur camps, avance le président de l’ONIGC. Dans un premier temps il a été convenu de développer un cadre de concertation afin d’améliorer le dispositif de formation initiale des ingénieurs et permettre ainsi leur admission à l’Ordre ». À terme, l’ONIGC souhaiterait créer une Commission d’accréditation des écoles d’ingénieurs. Une idée parmi de nombreuses recommandations pour l’amélioration de la qualité des formations d’ingénieurs au Cameroun.