À 31 ans, le togolais Jonathan Koffi Doe a déjà vécu dans quatre pays différents. Cet assistant en communication de la Commission de l’Union Africaine, passionné de droit et des questions de développement rêve d’un poste qui lui permettrait de participer à l’essor du continent, sur le terrain de préférence.
Togolais, né au Bénin, formé en Tunisie et travaillant en Éthiopie. C’est peu dire si Jonathan Koffi Doe est un pur produit panafricain. Rencontré lors du Next Einstein Forum 2018 de Kigali, où il n’a pas hésité à profiter des questions du public pour critiquer devant des milliers de personnes l’élitisme des conférences, ce jeune assistant communication dans la division de prévention des conflits à la Commission de l’Union Africaine (UA), a une langue bien pendue et une ambition décomplexée, qu’il résume en une saillie : « Quand je postule à quelque chose et qu’on me demande si j’ai un handicap à signaler, j’ai tendance à vouloir mettre que je suis Africain. Dès lors que tu nais sur ce continent, je pense que tu pars avec un handicap. Mais ça ne m’empêchera pas d’avancer ».
Impertinence
Attitude sereine, voix calme et débit de parole raisonnable tranchent avec une impertinence qui lui a parfois joué des tours. Comme ces deux fois où il s’est fait renvoyer de l’Institut africain d’administration et d’études commerciales (IAEC), un établissement privé d’enseignement supérieur à Lomé au Togo où il a étudié l’administration de réseaux.
Dès lors que tu nais sur ce continent, je pense que tu pars avec un handicap. Mais ça ne m’empêchera pas d’avancer.
La première fois, c’était pour avoir déploré le manque de place dans cette école qui coûte entre 900 et 1 000 euros l’année : « Soit on nous mettait dans de toutes petites salles et certains d’entre nous s’asseyaient dans les allées. Soit il n’y avait pas de salle de cours et le professeur rentrait chez lui sans tenter de trouver une solution. Je trouvais ça inacceptable parce que j’avais choisi de payer cette école pour éviter ce genre de prestation qu’on observe souvent dans le secteur public », raconte-t-il.
La deuxième fois, c’est parce qu’il s’est permis de réclamer plus de profondeur dans les enseignements, accusant ses professeurs d’utiliser des cours déjà disponibles sur Internet. « Le directeur n’a pas digéré cette remarque et nous l’a fait payer lors d’examens très ardus. Mais certains profs ont compris et ont réadapté leur programme ».
Time Université de Tunis : « le bon compromis »
En 2010, il obtient malgré tout une licence professionnelle de l’IAEC et part à Tunis. « Le Maroc et la Tunisie reflétaient pour moi une image d’ouverture par rapport aux autres pays d’Afrique du Nord. Ils sont moins conservateurs, les gens parlent français et ils sont avancés en termes de droits de l’Homme et de coopération universitaire », estime-t-il.
En Tunisie, il y a des établissements qui font clairement du business.
Il a déjà des amis à Tunis, c’est pourquoi il décide de s’y installer pour suivre un master en sécurité informatique à Time Université. « J’ai choisi cette école sur les conseils de personnes sur place. On m’a expliqué qu’il y a des établissements comme l’université centrale et Ibn Khaldoun qui font clairement du business. Time fait partie des plus sérieuses et se trouve en centre-ville. C’était le bon compromis », se rappelle-t-il. Les premiers mois, il n’échappe pas à quelques quiproquos culturels du fait de la vingtaine de nationalités qui se croisent sur le campus : « En Afrique Subsaharienne, on s’invite à la maison pour manger et signifier qu’on est amis. En Tunisie, les gens se rencontrent dans les cafés. On interprète mal ce manque d’hospitalité au départ, mais il faut comprendre que c’est comme ça », raconte-t-il.
Avant de pouvoir mettre un pied en Tunisie, Jonathan a dû régler de nombreux problèmes administratifs.
Togo-Tunisie, galères administratives
Mais avant de pouvoir mettre un pied en Tunisie, Jonathan a dû régler de nombreux problèmes administratifs. Faute de représentation diplomatique du Togo en Tunisie, il est obligé de faire un aller-retour de 48 heures en bus de Lomé à Abidjan afin de faire son visa pour s’installer à Tunis. Arrivé dans la capitale tunisienne les galères continuent : « Pour demander la carte de résident, il faut fournir une attestation de scolarité, une attestation de revenu de mille euros et un contrat de location », explique-t-il. Or le premier document n’est fourni par l’université qu’après un mois de cours.
Le logement, lui, est très difficile à trouver : « Les contrats sont en arabe, les gens te parlent en arabe. Quand tu précises que tu es africain, on te répond que ce n’est pas possible. Alors ceux qui n’ont pas le choix signent tout et n’importe quoi et acceptent tout à n’importe quel prix », confie-t-il. Lui, a la chance de pouvoir être hébergé chez un ami, le temps de régler son souci d’attestation de scolarité.
Côté finance, celui qui a perdu son père à deux ans, peut compter sur la bienveillance des amis de sa mère qui l’aident à payer les 2 000 euros annuels de frais de scolarité : « Ce sont des gens à qui je dois d’être où je suis aujourd’hui et je ne l’oublie pas », reconnait le jeune homme.
L’appel du terrain
Diplômé de Time Université en 2012, Jonathan reste à Tunis et décroche un poste de chargé de projet chez France Terre d’Asile après diverses expériences de quelques mois. Il quitte néanmoins ce poste au bout de 18 mois : « J’ai quitté le projet parce que j’étais considéré comme un salarié local alors que je faisais le même boulot qu’un consultant étranger bien mieux payé que moi », déplore-t-il. En août 2015, il est recruté en tant qu’assistant salle de veille dans la division prévention des conflits à la Commission de l’Union Africaine. Passé depuis, assistant communication il commence déjà à regarder ailleurs. Ce qui lui manque, c’est le terrain : « J’ai besoin de serrer des mains », lance-t-il tel un politique en campagne électorale. L’UA n’est donc pas une fin en soi pour ce trentenaire.
J’ai besoin de serrer des mains.
Passionné de droit et des questions de migration, il rêve en effet de plus de concret dans son travail sans pour autant formuler une idée précise de ce qui le comblerait : « J’ai beaucoup appris à l’UA en trois ans mais je suis en train de saturer. Je veux travailler dans une structure plus souple sur le plan administratif et qui propose des actions de terrain », explique-t-il.
Persuadé que le secteur du développement requiert des compétences juridiques, il n’écarte pas l’idée de retourner un jour sur les bancs de la fac pour décrocher un diplôme en droit, une question de crédibilité pour celui qui est tombé dans l’IT, un peu malgré lui.