Interview

Marie-Karelle Koné : « Il y a une méfiance de la diaspora envers ses gouvernants »

À la tête du cabinet de chasse de tête Akwaba’nWork et du cabinet de conseil en RH, Potentiafrica, Marie-Karelle Koné revient entre autres sur la place des RH en Côte d’Ivoire et celle d’une diaspora encore rétive à venir travailler sur le continent.

Par - à Côte d’Ivoire
Mis à jour le 19 septembre 2018
Marie-Karelle Koné est à la tête du cabinet de chasse de tête Akwaba’nWork et du cabinet de conseil en RH, Potentiafrica. © Marie-Karelle Koné/2018.

Marie-Karelle Koné/2018.

À la tête du cabinet de chasse de tête Akwaba’nWork et du cabinet de conseil en RH, Potentiafrica, Marie-Karelle Koné revient entre autres sur la place des RH en Côte d’Ivoire et celle d’une diaspora encore rétive à venir travailler sur le continent.

À seulement 29 ans, Marie-Karelle Koné n’a pas perdu son temps. Après avoir fondé en 2015 le cabinet Akwaba’nWork spécialisé dans la recherche exclusive pour la Côte d’Ivoire de talents hautement qualifiés au sein de la diaspora, elle est aujourd’hui à la tête de Potentiafrica, une agence qui œuvre dans le sourcing et le développement de la marque employeur en Afrique. Diplômée en management de la communication, Marie-Karelle a déjà travaillé pour plusieurs structures du CAC 40 dans le secteur de la publicité digitale. Entretien avec une chasseuse de têtes sur tous les fronts.

Quels sont les secteurs qui recrutent actuellement en Côte d’Ivoire ? Sur quel métier ?

La Côte d’Ivoire connaît une croissance économique depuis ces dernières années qui se traduit à travers d’ambitieux projets de modernisation de ses infrastructures, de son agriculture ou encore de l’innovation des services. Le marché offre ainsi un nombre d’opportunités pour les profils ingénieurs BTP, ingénieurs agricoles et nouveaux métiers du numérique (chef de projet web ou digital, mobile consulting, social media manager, data scientist). Certaines fonctions supports sont également très demandées, notamment dans les ressources humaines dans le domaine privé (responsable des ressources humaines) et dans l’assistanat auprès de dirigeants dans le domaine public (executive assistant).

Certains pays dont l’Éthiopie et le Rwanda ont adopté une politique assidue en termes de formation technique. »

Parallèlement au besoin massif d’ingénieurs on voit apparaître une pénurie au niveau des techniciens. Comment l’expliquer ?

D’une part la difficulté est liée au manque de candidats disponibles sur le marché et d’autre part par le manque de qualifications techniques des postulants. Les jeunes sont de moins en moins orientés vers les formations techniques qui sont d’ailleurs difficilement accessibles localement. Et pourtant ces métiers doivent jouer un rôle essentiel à la productivité de la région. Certaines entreprises qui font partie des principales lésées par ce problème essaient de le résoudre en offrant une formation en ligne gratuite à tous les Africains qui souhaitent se lancer dans ce secteur ou passer au niveau suivant dans leur carrière. Il faut d’ailleurs souligner qu’il s’agit là d’une action marque employeur externe. Enfin, certains pays en Afrique dont l’Éthiopie et le Rwanda ont adopté une politique assidue en termes de formation technique. TEVSA au Rwanda est un bel exemple de réponse à la pénurie des techniciens. À travers cette organisation, le gouvernement a pu mettre en place plus d’une cinquantaine d’écoles techniques dans tout le pays et sensibiliser sa population sur les apports des métiers techniques.

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Comment sont perçues les ressources humaines en Côte d’Ivoire ? Quels sont les problématiques principales ?

La fonction RH en Côte d’ivoire est notamment vue en externe comme la fonction pourvoyeuse d’emploi et en interne comme la fonction support des aspects de gestion de carrière ou de la paie. Tout comme l’ensemble des fonctions de l’entreprise, la fonction RH fait face à la transformation digitale et doit adopter d’une part de nouvelles stratégies en créant de nouvelles expériences permettant de générer plus d’engagement chez les talents en interne et d’engouement chez les talents en externe. D’autre part, d’identifier et d’adopter les nouveaux outils technologiques pour moderniser son organisation.

Il faut promouvoir l’auto-emploi tout en mettant en place des conditions propices et transparentes au développement des jeunes entreprises. »

Que pensez-vous des campagnes de promotion de l’auto-emploi ?

Il y a des opportunités d’emploi mais il y a aussi le chômage ! Face à ce dernier, l’auto-emploi fait partie des solutions. Il faut promouvoir l’auto-emploi tout en mettant en place des conditions propices et transparentes au développement des jeunes entreprises. Dans le secteur privé, nombre de banques exposent les différentes possibilités de financement pour les créateurs d’entreprise mais ne communiquent pas sur les taux d’intérêt qui vont parfois jusqu’à 20%. Dans la réalité c’est complexe d’y accéder car il faut un réseau, une influence. Dans le secteur public, nombre de dispositions officielles sont annoncées pour les jeunes entreprises, des concours ou des appels à financements de projets sont présentés, mais cela sans aucune transparence. Les initiatives sont bonnes, mais ne devraient pas juste servir d’auto-promotion des institutions et organisations qui les portent. Elles doivent également accompagner et soutenir l’auto-emploi.

Les opérations de séduction des gouvernements africains envers la diaspora vont-elles dans le bon sens ?

La diaspora africaine est une véritable richesse pour le continent tant en termes d’investissement matériel qu’en termes d’investissement immatériel. Cependant, les gouvernants africains peinent à créer des liens plus solides avec eux. Il faut dire qu’il y a une certaine méfiance observée par la diaspora envers ses gouvernants qui se traduit par un manque de réponse de sa part aux initiatives gouvernementales qui pourtant vont dans l’intérêt de la diaspora. Il n’y a pas vraiment de transparence. Nous sommes confrontés à l’instrumentalisation politique. On est davantage dans la dimension de rêve plutôt que dans l’exécution. Tout cela peut vraisemblablement représenter le frein dans l’engouement de la diaspora.

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Pourquoi l’avoir fondé le cabinet Potentiafrica l’an dernier ?

Avec Akwaba’nWork, nous avons été au contact de diverses multinationales qui nous ont fait part des difficultés qu’elles rencontraient pour combler leurs postes vacants dans plusieurs pays d’Afrique. La plupart du temps, quand elles finissaient par y arriver après de longs mois, le candidat avait tout simplement été débauché auprès d’entreprises concurrentes. Nous avons constaté qu’il y avait d’une part une pénurie de talents sur le continent et d’autre part un manque de fluidité de l’information concernant les postes à pourvoir au sein des différentes entreprises en Afrique. Il y avait une véritable opportunité à saisir. Nous sommes aujourd’hui fiers d’accompagner la plupart des multinationales du continent africain dans la refonte de leur image employeur et l’attraction 2.0 de nouveaux talents. Nous sommes une jeune entreprise porteuse d’un rêve, celui de révolutionner les modes de communication dans le secteur des ressources humaines en Afrique d’ici 2020.

Les chefs d’entreprises sont contraints de mettre en place des stratégies de fidélisations de leurs salariés. »

Vous proposez aux entreprises de développer leur marque employeur. Quel niveau de maturité observez-vous sur ce sujet dans les entreprises ivoiriennes ?

Face à la pénurie grandissante de talents sur le marché de l’emploi africain, il est impératif que les entreprises puissent développer des stratégies globale autour du recrutement pour espérer séduire et fidéliser les profils les plus qualifiés. L’Afrique anglophone est déjà mature sur le sujet qui est très lié aux nouvelles technologies de l’information. L’Afrique francophone l’est moins, la Côte d’Ivoire encore moins. Avec le nombre massif d’entreprises qui s’installent de plus en plus en Côte d’Ivoire et qui peinent à trouver des compétences, la quête se fait facilement auprès de la concurrence. Pour la plupart, ce sont des entreprises internationales qui ont de très bonnes ressources financières leur permettant de proposer parfois deux à trois fois le salaire d’un candidat qu’ils courtisent. Les chefs d’entreprise de plus en plus confrontés à ce problème, qui parfois leur fait perdre des talents à des postes stratégiques, sont contraints de mettre en place des stratégies de fidélisation de leurs salariés. Nous avons donc bon espoir que cette prise de conscience impacte également la marque employeur externe qui est toute aussi importante, dans la mesure où de nouveaux métiers se créent et qu’il faudra donner envie aux talents de rejoindre son entreprise.

Vous promettez aux entreprises de leur fournir des talents hautement qualifiés. Où allez-vous les chercher ? 

En Afrique et à l’international, il y a des talents issus de grandes formations d’écoles de commerce ou de grandes universités, et qui ont des expériences professionnelles très riches. Aujourd’hui avec certains réseaux sociaux professionnels nous avons la possibilité de le constater aisément. Nous recensons ces talents qui sont déjà présents en Afrique ou qui sont à l’international et souhaitent venir exercer en Afrique. Puis nous établissons avec eux un contact permanent via notre propre plateforme de réseautage. Nous allons à leur rencontre la plupart du temps via le web, pendant des manifestations que nous organisons ou lors de manifestations auxquelles nous participons et qui sont en lien avec leurs différents secteurs d’activités.

Propos recueillis par Florian Dacheux.