Stratégie de captation des talents subsahariens, nouvelles formations au Maghreb, executive education… La présidente de Paris-Dauphine, revient pour Jeune Afrique Emploi & Formation sur ses ambitions et les projets qu’elle porte pour cette université déjà très influente en Afrique du Nord.
Rares sont les universités étrangères à décider d’implanter un campus sur le continent africain. Plus rares encore sont celles qui en implantent deux. C’est le cas de l’université Paris-Dauphine, spécialisée dans les sciences des organisations et de la décision. Avec deux têtes de pont au Maghreb, l’une à Tunis, créée à la veille de la transition démocratique, et l’autre à Casablanca réclamée par ses alumni locaux, l’université française assoit une influence certaine et assumée en Afrique du Nord. Elle souhaite désormais en profiter pour capter les étudiants subsahariens et développer les mobilités internationales. Rencontrée sur le campus parisien, qui fût autrefois le QG de l’Otan, Isabelle Huault, présidente de l’université depuis décembre 2016, a exposé ses ambitions à Jeune Afrique Emploi & Formation.
Vous faisiez partie de la délégation invitée par Emmanuel Macron lors de son voyage à Tunis en janvier/février. Quel était l’intérêt de ce voyage pour Paris-Dauphine ?
Nous avons été invités parce que nous avons un campus à Tunis installé depuis 2009. Il y avait l’annonce du lancement d’une université franco-tunisienne pour l’Afrique et la Méditerranée (Uftam), dont Dauphine-Tunis pourrait être partie prenante. Ce projet est encore en phase de réflexion. Il consiste à s’appuyer sur des coopérations franco-tunisiennes fortes pour délivrer des diplômes français et tunisiens sur des perspectives innovantes. Son ouverture est prévue en 2020.
Quel est votre rôle dans ce projet ?
Nous participons aux réflexions avec l’ensemble des parties prenantes et le campus de Dauphine Tunis fera partie de cette Uftam.
Vous avez également un campus à Casablanca…
Celui-ci est plus récent, il dispense principalement de la formation continue en master. En septembre nous lançons néanmoins un master en formation initiale dans le domaine du management international. C’est un campus récent qui a ouvert en 2016 et qui pour son amorçage a bénéficié de l’aide financière et des conseils des alumni de Dauphine au Maroc qui sont à l’origine de la demande. Cette communauté, très attachée à Dauphine a été dans un premier temps actionnaire à 50 %. La phase d’amorçage étant achevée on a voulu donner un nouvel élan académique avec le groupe HEM qui a racheté la part des actions des alumni.
Tous les diplômes de Dauphine Casablanca et Dauphine Tunis sont des diplômes labellisés Paris-Dauphine. »
Que vous apporte le groupe HEM au Maroc ?
C’est un appui opérationnel, il nous apporte les éléments d’infrastructure puisque notre formation est désormais dispensée dans des locaux proches d’HEM Casablanca. Il s’agit aussi d’un partenaire académique qui connaît très bien le contexte de l’enseignement supérieur marocain, ce qui nous permet de bénéficier d’un soutien sur ce point, même si nous gardons le pilotage académique et le contrôle de notre marque et veillons à la qualité académique aux standards de Paris-Dauphine France.
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Des doubles diplômes sont-ils prévus ?
Non, tous les diplômes de Dauphine Casablanca et Dauphine Tunis sont des diplômes labellisés Paris-Dauphine. Ils sont votés par notre conseil d’administration à Paris et piloté par un cahier des charges précis. Le master de management international proposé à Casablanca est le même qu’ici à Paris. Le corps enseignant est partiellement composé d’enseignants-chercheurs de Paris-Dauphine et partiellement d’intervenants marocains que l’équipe de Paris recrute sur place. Le groupe HEM pourra d’ailleurs être un appui pour le recrutement d’enseignants-chercheurs locaux.
Pour l’instant, nous cherchons surtout à bien consolider nos campus en Afrique du Nord.
Quels sont vos projets pour l’Afrique sub-saharienne ?
Pour l’instant, nous cherchons surtout à bien consolider nos campus en Afrique du Nord. Ils doivent nous servir de hub pour nos actions en Afrique sub-saharienne, comme le recrutement d’étudiants. Nous n’avons pas de projet de campus au Sénégal ou en Côte d’Ivoire où la collaboration s’opère par des partenariats. Au Sénégal par exemple, nous proposons le MBA International Paris [MBAIP, Ndlr], un diplôme développé en association avec l’IAE de Paris, au Césag de Dakar. Nous avons donc des partenariats avec quelques institutions africaines mais pas d’implantations.
Pourquoi ?
Avoir déjà deux campus génère des coûts de transaction, des ressources pédagogiques supplémentaires…Donc on ne peut pas se permettre d’avoir des campus partout.
À l’inverse de votre prédécesseur, Laurent Batsch, vous n’êtes donc pas en train de réfléchir à installer un campus en Afrique de l’Ouest ?
Je crois qu’il n’a jamais été question d’un campus en Afrique subsaharienne. Nous avons suffisamment d’attention à porter sur la consolidation et le développement des campus en Afrique du Nord. Nous ne voulons pas disperser nos forces.
Rencontrez-vous des difficultés à capter les étudiants subsahariens ? Notamment au niveau administratif.
Pour l’instant ils ne sont pas très nombreux. Mais le Maroc a une politique très volontariste qui va dans le sens de l’ouverture. En ce qui nous concerne, nos programmes deviennent visibles en Afrique subsaharienne grâce à notre promotion sur les réseaux sociaux et sur nos sites.
Qu’en est-il de la Tunisie ?
Nous venons de diplômer les étudiants tunisiens et lors de la cérémonie je n’ai vu que quelques étudiants subsahariens, en particulier au sein du master finance. Tout l’enjeu est donc d’intensifier nos efforts sur cette zone. La réponse passera en partie par les bourses.
40 % de notre budget provient de ressources propres. »
Que représente l’executive education dans le budget de l’université Paris-Dauphine ?
40 % de notre budget provient de ressources propres. Parmi elle la formation continue constitue un élément important d’à peu près 16 millions d’euros sur un budget de 115 millions d’euros. À côté de cela nous avons des diplômes en apprentissage en France, de la taxe d’apprentissage, des contrats de recherche.
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Est-ce un levier de développement en Afrique ?
Notre objectif en Afrique n’est pas spécifiquement de générer des ressources propres mais d’être à l’équilibre et d’affirmer une présence locale.
Vous parliez d’apprentissage. Est-ce un système que vous voudriez voir mis en place sur le continent ?
Pas sous cette forme puisque les dispositifs législatifs ne le permettent pas. Nous avons noué des partenariats privilégiés avec des entreprises qui offrent des stages en période longue et une promesse d’emploi à l’arrivée. À Tunis, il existe des programmes de mobilités et d’insertion des étudiants grâce à un partenariat noué avec les big five [EY, Deloitte, PwC, KPMG, Arthur Andersen, Ndlr] qui aident nos étudiants à avoir un parcours d’apprentissage dans plusieurs pays d’Afrique sub-saharienne et à s’insérer plus rapidement. Cela a été construit localement par Amina Bouzguenda Zeghal directrice du campus de Tunis.
Quel objectif vous êtes-vous fixé en termes de nombre d’étudiants et sous quelle échéance ?
Nous souhaitons garder notre sélectivité et rester sur un modèle dauphinois de petites promotions d’une vingtaine de personnes. Donc l’ambition n’est pas d’atteindre les 12 000 étudiants du campus parisien. L’objectif pour Tunis c’est plutôt d’atteindre entre 700 et 1 000 étudiants dans cinq ans, en développant surtout le niveau Master. Et 300 à Casablanca sous le même délai.
Insertion professionnelle
En 2017, Paris-Dauphine a réalisé une étude sur ses diplômés 2015 et 2016 du MBA International (MBA IP) pour la zone Afrique (Maroc, Algérie, Tunisie, Océan Indien et Sénégal). L’étude a été menée par la société britannique Kantar, spécialisée dans le conseil et les études marketing. Les résultats ont montré que :
- 100 % des diplômés déclarent que cette formation leur a permis d’accroître leur performance individuelle.
- 93,4 % déclarent que la formation leur a permis d’accroître leur valeur sur le marché du travail
- 75,3 % déclarent que la formation a eu un impact significatif voire essentiel sur leur carrière moins d’un an après la remise de diplôme :
- 42,8 % ont changé de poste ou de fonction
- 18,3 % ont changé d’employeur
- 50,6 % ont eu une augmentation de salaire ou une prime