Créé en 2016, l’Institut africain des sciences mathématiques (Aims) de Kigali est le dernier né d’un réseau qui compte cinq autres établissements du genre sur le continent. Visite guidée.
Ce n’est qu’après avoir confié sa pièce d’identité à un agent de sécurité posté au portail du bâtiment que son accès est autorisé. Installé au cœur de la vrombissante et très sécurisée Kigali, la capitale du Rwanda, le bâtiment abritant l’Institut africain des sciences mathématiques (Aims) était jusqu’en 2016 un hôtel. Rénové depuis et décoré aux couleurs du réseau panafricain d’enseignement supérieur, l’établissement, situé dans le quartier de Nyakabanda, continue d’héberger des visiteurs. Ceux-là sont désormais étudiants, professeurs ou tuteurs et ne déboursent rien pour profiter d’une chambre et de repas quotidiens.
Infrastructures dernier cri
Aux manettes de la version rwandaise d’Aims, le Béninois Boris Fidèle Degan, plus à l’aise en anglais qu’en français, n’hésite pas à prendre en main la visite tout en saluant par son prénom chacun des étudiants qu’il croise. Construit sur trois niveaux, le bâtiment principal abrite au rez-de-chaussée les bureaux de la direction et de l’administration. Les chambres des garçons, elles, se situent au premier étage. Celles des filles au deuxième et celles des professeurs au troisième. En tout, 50 personnes vivent ici au quotidien, dans un environnement cosmopolite composé d’étudiants aux parcours divers venant des quatre coins du continent et de professeurs occidentaux.
Gratuit, rigoureux, cultivant un élitisme assumé, l’enseignement d’Aims est reconnu comme étant l’un des meilleurs du continent.
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À l’arrière du bâtiment principal, une annexe flambant neuve entoure un terrain multisport. Elle est composée d’une salle de classe équipée de 50 ordinateurs au rez-de-chaussée et du Quantum Leap Africa (QLA), le nouveau laboratoire de recherche sur les sciences et technologies quantiques. Piloté par Prince K. Osei, cette structure va ouvrir trois chaires de recherche dédiées principalement aux questions du changement climatique. De son côté, l’étage ressemble à un open-space de start-up. Il dessert une seconde salle de cours vitrée ainsi que la salle des professeurs. Elles donnent toutes deux sur une bibliothèque colorée.
Deux cursus
Gratuit, rigoureux, cultivant un élitisme assumé, l’enseignement d’Aims est reconnu comme étant l’un des meilleurs du continent depuis sa création en 2003 en Afrique du Sud. Les deux cursus qu’il propose sont identiques à un détail près : l’un prépare plus rapidement à l’insertion dans une entreprise car il est conçu comme un master en alternance où les enseignements sont resserrés sur 18 mois, au lieu de 24 mois pour le cursus classique qui mène plus généralement vers un doctorat et une carrière académique.
« Le cursus est lourd, nous demandons beaucoup de travail aux étudiants, ce qui nous a valu un abandon l’année dernière ».
« Le cursus est lourd, nous demandons beaucoup de travail aux étudiants, ce qui nous a valu un abandon l’année dernière », reconnaît Boris Fidèle Degan. Levés parfois très tôt et couchés tard pour travailler et rester à niveau, les étudiants suivent au quotidien deux cours de sciences de deux heures chacun le matin. L’après-midi est consacrée aux cours intensifs d’anglais pour les francophones, de sessions de tutorat et d’un cours sur entrepreneuriat.
À Kigali, le modèle semble fonctionner puisque l’établissement joue de rôle de conseil pour le développement d’une liste de bonnes pratiques développées par le Haut conseil à l’éducation, l’organisme gouvernemental chargé de veiller à la qualité des enseignements délivrés à travers le pays aux mille collines.
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Enseignants extérieurs
Comme dans les cinq autres établissements du réseau Aims (Cameroun, Ghana, Sénégal, Afrique du Sud et Tanzanie), l’enseignement est assuré par des professeurs visiteurs présents trois semaines chacun pour assurer un module intensif. « Nous disposons d’une plateforme en ligne où les professeurs peuvent postuler eux-mêmes. Leur recrutement se fait également grâce au réseau personnel des enseignants actuels », assure Sophonie Blaise Tchapnda, directeur académique d’Aims Kigali.
L’installation du bâtiment d’Aims Kigali a nécessité un investissement de 50 millions de dollars.
C’est le cas d’Evans Gouno, maître de conférences à l’université de Bretagne-Sud, venu enseigner pendant trois semaines. Rencontré en pleine correction des tests écrits que chaque étudiant passe à la fin d’un module, ce Français en résidence à Kigali pour la première fois à connu le réseau panafricain grâce à l’entremise de son ami Ernest Fokoué, lui-même mathématicien et professeur associé au Rochester institute of technology aux États-Unis.
Pérennité du réseau
L’installation du bâtiment d’Aims Kigali – à ne pas confondre avec celui du siège situé près du golf – a nécessité un investissement de 50 millions de dollars sur cinq ans. La moitié est fournie directement par le gouvernement rwandais. Le reste est financé par divers partenaires dont la fondation Mastercard et la coopération canadienne. Quelques universités européennes, américaines et sud-africaines participent aussi à l’opération.
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Bien qu’importants, ces efforts ne garantissent pas la pérennité du réseau panafricain. « Nous sommes en train de travailler sur la mise en place d’un modèle d’affaires qui nous évite de dépendre de financements extérieurs », explique Boris Degan. Plusieurs idées sont sur la table. Outre l’hypothèse d’ouvrir le capital à un fonds d’investissements extérieur, le réseau créé par le Sud-africain Neil Turok, réfléchit à comment monétiser l’expertise de ses étudiants auprès des entreprises.
« Nous n’avons pas de système de réinjectons de fonds reçus de la part des entreprises pour qui nos étudiants travaillent, soit en alternance, soit sous forme de projets commandités. Pourtant cela pourrait rendre le système Aims plus viable. Pour l’instant cette opération est tout bénéfice pour les industriels et les étudiants », concède Youssef Travaly, vice-président du Next Einstein Forum [entité de l’écosystème Aims, Ndlr] et président par intérim d’Aims Sénégal. Et là aussi, Aims Kigali joue un rôle de pionnier : « Pour cela nous avons ouvert un poste de chargé de développement des étudiants qui doit réfléchir sur la monétisation de leurs compétences », explique Boris Degan.
À cela, s’ajoute le souci de la capacité d’accueil du bâtiment, surtout depuis la rentrée mi-septembre du nouveau master en intelligence artificielle qui compte 31 étudiants hébergés hors du campus. « Nous devrons déménager dans un ou deux ans et cherchons d’ores et déjà l’endroit idéal », conclut Boris Degan. Victime de son succès, l’école des sciences mathématiques doit désormais trouver chaussure à son pied.