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Tunisie : Amira Cheniour, parcours d’une ingénieure durable

Soutenue et inspirée par plusieurs mentors, la Tunisienne de 31 ans, co-fondatrice de Seabex, est parvenue à refuser le destin que d’autres avaient tracé pour elle.

Par - à Tunisie
Mis à jour le 29 novembre 2018
Amira Cheniour, co-fondatrice tunisienne de Seabex © Fredie Marufu/Onyx.

Fredie Marufu/Onyx.

Soutenue et inspirée par plusieurs mentors, la Tunisienne de 31 ans, co-fondatrice de Seabex, est parvenue à refuser le destin que d’autres avaient tracé pour elle.

« Financial Inclusion Award » à Berlin, « start-up pour une Afrique durable » à l’European African Business Forum, « Prix Orange de l’Entrepreneur Social 2018 » : les récompenses pleuvent pour Amira Cheniour. À la tête de Seabex, une plateforme de smart-agriculture créée en 2015 avec son acolyte Taher Mestiri, l’ingénieure de 31 ans récolte les fruits des efforts fournis par ses équipes depuis trois ans. « Nous sommes reconnaissants de leur implication depuis la première ligne de code », confie la lauréate modeste.

50 prototypes avortés, des problèmes de financement et des talents qui quittent le navire pour tenter leur chance en Europe : les obstacles ont été nombreux. « À plusieurs moments nous avons voulu baisser les bras mais la passion l’emportait à chaque fois », explique celle qui jongle aisément entre le français et l’anglais. Si la jeune femme rougit aujourd’hui devant ces distinctions, elle ne cache pas non plus ses ambitions. Son objectif : faire ses preuves sur le terrain et conquérir de nouveaux continents.

Leader

Originaire de Mahrès, petite ville au sud de Sfax, Amira cultive depuis l’enfance ce tempérament de leader. « Déjà à la crèche je menais les troupes », s’amuse-t-elle. Une personnalité qu’elle tient aussi de son père, entrepreneur dans la maçonnerie. « Il a toujours été un exemple mais je n’aurais jamais imaginé suivre ses pas dans l’entrepreneuriat»

Le confort matériel n’était pas ma priorité. »

Alors que son grand-père la pousse à devenir médecin après son bac, elle se dirige vers des études d’ingénieure en informatique. En 2006, l’étudiante monte à Tunis pour intégrer l’Insat, établissement public rattaché à l’Université de Carthage. Puis fait ses armes sur les bancs de l’école Esprit, une formation privée de trois ans qu’elle finance au départ grâce à des petits boulots. « Mon père m’a ensuite aidée. J’ai été chanceuse à ce niveau-là », reconnaît la PDG.

Le choix de la passion

Fraîchement diplômée en 2012, Amira est confrontée aux difficultés du marché du travail. « On me reprochait constamment mon manque d’expérience », se désole-t-elle. Direction les centres d’appel de Teleperformance qu’elle quitte après seulement trois mois pour s’établir comme chef de projet dans une start-up de social TV. Là encore, la jeune diplômée ne se sent pas à sa place. D’autres propositions s’offrent à elle avec de nombreux avantages financiers mais cela ne l’intéresse pas. « Je voulais une carrière mais surtout un métier qui me passionne. Le confort matériel n’était pas ma priorité », explique la Tunisienne.

Quand on sort du schéma habituel, à savoir travail, mari, enfants, c’est un peu choquant. Mais petit à petit ça devient une fierté ».

Son entourage ne comprend pas cette recherche d’insécurité. « Je viens d’un milieu où les choses classiques sont plus acceptées que les choses originales. Quand on sort du schéma habituel, à savoir travail, mari, enfants, c’est un peu choquant. Mais petit à petit ça devient une fierté », se réjouit aujourd’hui cette acharnée. Les habitants de son village l’inondent désormais de messages d’encouragements.

Femme de pouvoir

Si Amira a pu souffrir de ce carcan conservateur, la jeune femme affirme en revanche ne pas avoir fait l’objet de discriminations dans son milieu professionnel. « Depuis des années, la femme tunisienne est valorisée. Elle occupe des postes de pouvoir que ce soit au parlement ou dans les grandes entreprises. À l’université, dans les filières en IT, 60 % des apprentis sont des étudiantes.»

Pendant ces années où elle se cherche, l’ingénieure croise la route de la responsable de la direction information de Citibank en Tunisie, « une femme de caractère respectée et intelligente ». Son aura l’inspire. Tout comme celle d’un homme : Taher Mestiri, fondateur de la start-up I.T. Grapes, spécialisée dans le développement de solutions web, mobiles et embarquées. Fréquentant le même milieu associatif, elle noue avec lui une vraie amitié qui la conduira à rejoindre sa société en 2013.

En quête de solutions

À ses côtés, elle se lance en 2015 dans l’aventure Seabex : un système de surveillance connecté qui vise à mieux gérer les ressources hydriques des agriculteurs. L’idée de ce projet novateur a germé à la suite d’une rencontre fortuite avec un vieux paysan. Il avait perdu 60 % de sa récolte à cause des coupures d’eau, récurrentes en Tunisie pendant les périodes de sécheresse. Un problème bien connu aussi du père d’Amira, qui cultive par passion des oliviers et des pommiers. Sur les réseaux sociaux, des vidéos témoignent également de ce désastre.

On se moque souvent de nous quand on dit ça, mais on rêve d’aller sur Mars ».

Les quatres co-fondateurs décident alors de faire rimer agriculture et technologie. Ils recrutent huit personnes et puisent dans leurs ressources financières personnelles pour monter leur start-up. Depuis, quatre agriculteurs tunisiens, dont les parcelles font entre 6 et 35 hectares, utilisent leur outil. « D’un faible coût, notre solution s’adresse aussi bien aux grands producteurs qu’aux petits sur lesquels il faut investir », précise la chef d’entreprise qui espère inspirer le gouvernement.

Aujourd’hui intégrée dans l’accélérateur dubaïote Womena, Seabex intéresse les investisseurs étrangers. Des discussions s’amorcent. La start-up compte atteindre 2 000 clients d’ici trois ans. « On se moque souvent de nous quand on dit ça, mais on rêve d’aller sur Mars ». Amira n’a donc pas fini de repousser ses limites.