Interview

Jean-Michel Severino (I&P) : « La croissance de notre équipe se fera à 90 % en Afrique »

L’entreprise spécialisée dans l’investissement d’impact prévoit de doubler et africaniser ses effectifs en moins de dix ans. Les détails d’une transformation RH inédite avec son président, Jean-Michel Severino.

Par - à Panafricain
Mis à jour le 4 janvier 2019
Jean-Michel Severino, président d’Investisseurs & partenaires. © Vincent Fournier/JA/2016.

Vincent Fournier/JA/2016.

L’entreprise spécialisée dans l’investissement d’impact prévoit de doubler et africaniser ses effectifs en moins de dix ans. Les détails d’une transformation RH inédite avec son président, Jean-Michel Severino.

Installé dans un appartement cossu du IIème arrondissement de Paris, Investisseurs et partenaires (I&P), groupe spécialisé dans l’investissement d’impact en Afrique est piloté depuis sa création en 2001 à partir de la France. Dirigé depuis 2011 par Jean-Michel Severino, ex directeur général de l’Agence française de développement (AFD) et fin connaisseur du continent, le groupe compte six bureaux locaux sur le continent gérant eux-mêmes des fonds panafricains et un réseau de fonds nationaux. L’entreprise qui intervient dans une quinzaine de pays, compte doubler ses effectifs en moins de dix ans passant de 50 collaborateurs actuels à environ 100. Ces ambitions poussent le management de l’entreprise à repenser entièrement sa stratégie RH afin de recruter, responsabiliser et africaniser rapidement ses équipes. Jeune Afrique a rencontré Jean-Michel Severino afin d’en savoir plus sur l’organisation de cette transformation.

Jeune Afrique : Pouvez-vous nous expliquer d’où vient cette volonté d’africaniser vos effectifs ?

Jean-Michel Severino : En 2001, il était inévitable de démarrer nos opérations depuis Paris. D’abord parce que Patrice Hoppenot, le fondateur est parisien et que personne d’autre en Afrique n’avait eu l’idée. Mais également parce qu’il n’y avait aucune compétence sur le continent dans ce type de métier qu’est l’investissement en private equity dans la start-up et les PME. En revanche, à partir du moment où l’activité a dépassé son stade pilote, il nous a paru absurde de continuer à tout gérer depuis Paris. Ça n’avait pas de sens d’un point de vue des coûts mais aussi d’un point de vue commercial, culturel et opérationnel.


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Comment se traduit-elle ?

L’année 2010 a marqué le début d’un développement qui nous a amené à être 50 aujourd’hui, dont 33 en Afrique qui sont eux-mêmes africains. Cette évolution ne s’est pas faite qu’au niveau de la localisation de l’équipe sur le terrain, mais aussi sur une répartition progressive des fonctions de direction et d’animation entre Paris et le continent puisque la croissance de notre équipe va se faire à 90 % en Afrique.

Il n’y a pas de marché du travail pour nos métiers. »

Quelles difficultés rencontrez-vous dans cette transformation ?

Nous sommes confrontés à tous les sujets classiques des entreprises voulant développer un réseau de compétences en Afrique avec une difficulté supplémentaire qui tient au fait qu’il n’y a pas de marché du travail pour nos métiers. Il y a un micromarché pour les métiers d’investissement en private equity classique. Du moins, on en trouve de temps en temps. Mais des profils qui ont fait du private equity dans la start-up et la PME, on n’en trouve pas. De plus ce sont des métiers qui nécessitent une formation supérieure à Bac+5 voir plus.


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Dans ce contexte, comment parvenez-vous à trouver les bons profils ?

La seule solution a été de recruter des juniors ou juniors relatifs, venant d’une pratique professionnelle voisine (droit, marketing, banque, microfinance). Nous avons à la fois trouvé des locaux ayants effectué l’ensemble de leurs études sur le continent et des « repats », c’est-à-dire des garçons et des filles qui ont fait leurs études supérieures en France. Pour les identifier nous nous servons des réseaux sociaux et nous cultivons une présence dans différentes institutions de formation comme HEC, Sciences Po ou l’Essec en France. Nous sommes aussi présents localement comme à l’Inscae de Madagascar. De manière générale nous avons beaucoup recours aux stages, en Afrique ou à Paris et nous avons beaucoup recruté de collaborateurs permanents par ce canal. C’est un processus formidable qui permet de faire connaissance mutuellement.

Les gens qui viennent nous voir sont tous attirés par l’entrepreneuriat.

Quel type de candidat retient particulièrement votre attention ?

Quelqu’un qui a vécu les difficultés d’un projet entrepreneurial ou qui a lancé quelque chose qui n’a pas fonctionné pour des raisons qui n’ont rien à voir avec son honorabilité ou ses compétences peut faire un formidable investisseur à condition qu’il en ait tiré des leçons positives. Ces profils comprennent en profondeur les difficultés des personnes qu’ils ont en face d’eux et voient venir les erreurs. Les gens qui viennent nous voir sont tous attirés par l’entrepreneuriat et n’ont pas envie d’entrer dans des grandes structures. Bien souvent ils souhaitent de l’autonomie et du contact humain et ont l’esprit d’aventure.


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Faites-vous appel à des cabinets de recrutement ?

Oui, pour les postes plus seniors nous fonctionnons soit par notre propre réseau professionnel, soit par des cabinets de chasseurs de têtes locaux comme AfricSearch ou d’autres. Chaque cabinet a ses secteurs ou zones géographiques de prédilection.

Nos directeurs d’investissements, à l’origine parisienne, accompagnent les chargés d’investissements pour les autonomiser le plus rapidement possible. »

Vous avez besoin de responsabiliser rapidement chacune de vos nouvelles recrues. Ce processus prend combien de temps en moyenne ?

Dans notre métier, il faut à peu près dix ans entre le moment où l’on sert pour la première fois la main d’un entrepreneur dans un cocktail, un taxi ou un avion et le moment où l’on sort de sa boîte après avoir effectué les différents cycles de l’instruction, de l’investissement et de la sortie. Donc on considère qu’il faut au moins une décennie entre le moment où l’on recrute quelqu’un et celui où l’on devient directeur d’investissement. Notre enjeu est de faire cela plutôt en sept ans qu’en dix ans. Mais dans le monde réel c’est plus compliqué puisque lorsqu’une personne arrive elle est confrontée à des entreprises qui sont à différents stades.


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Et comment comptez-vous y parvenir ?

Certes nous faisons des tableurs, du droit et des montages financiers mais 95 % du travail est ailleurs. Nous sommes d’abord un métier de la PME qui demande de l’expérience. Il faut savoir comprendre comment fonctionnent les entreprises, savoir construire une relation avec les chefs d’entreprises et les accompagner dans les difficultés quotidiennes. Pour cela, nos directeurs d’investissements, à l’origine parisienne, accompagnent les chargés d’investissements pour les autonomiser le plus rapidement possible. De leur côté, nos directeurs généraux de fonds locaux sont eux-mêmes accompagnés par l’équipe de la holding. La seniorisation, c’est une pratique artisanale de maître à apprenti au sens noble du terme.

Cela nécessite de la formation.

Bien sûr. Nous en faisons en présentiel et nous faisons de l’apprentissage collectif. Et pour cela, nous sommes accompagnés par des bénévoles seniors qui connaissent le métier et qui endossent des rôles de formateurs.

Avez-vous eu recours à des expertises extérieures pour mettre en place tout cela ?

Non. C’est un processus dirigé par nous-mêmes et plus particulièrement par Isabelle Colin, notre DRH qui est là depuis le début de l’aventure. Nous avons tout de même fait appel à des consultants extérieurs pour mener une enquête de perception de l’entreprise par les équipes.