Peu de financement, mauvais encadrement, accès limité à l’information… Au Maroc, les doctorants peinent à terminer leurs thèses à tel point que certains préfèrent se tourner vers le privé.
Selon une étude du Conseil supérieur de l’éducation évaluant le cycle doctoral, 9 doctorants sur 10 abandonnent leur thèse. Aujourd’hui considérés comme de simples étudiant, les doctorants, qui représentent 32 000 inscrits par an, n’ont pas de statut de chercheurs. Mis à part les 300 bourses d’excellence octroyées annuellement par le ministère de l’Éducation, ces derniers ne sont pas financés pendant leur thèse. Ces conditions précaires poussent nombre d’entre eux à abandonner leur thèse pour se diriger vers le privé.
Pas ou peu de bourses
Abdellah*, 29 ans, a laissé tomber sa thèse en sciences de l’ingénieur et informatique à l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah de Fès au bout d’un an et demi. « Je n’avais plus de bourses. Entre les trajets pour aller au laboratoire et la fac et les frais pour aider ma famille à payer les charges je ne m’en sortais plus ». L’étudiant décide alors d’intégrer une entreprise privée en tant qu’ingénieur en développement informatique. « Je gagne 11 000dhs par mois. Ce n’est pas ce que je voulais faire mais au moins je vis de manière décente », explique le jeune homme qui vient tout juste de louer un appartement dans le centre-ville de Casablanca.
Sur les 32 000 doctorants inscrits aujourd’hui au Maroc, seulement 2 000 soutiennent leur thèse en moyenne, soit moins de 10 %.
« Sur les 32 000 doctorants inscrits aujourd’hui au Maroc, seulement 2 000 soutiennent leur thèse en moyenne, soit moins de 10 %. C’est simple, ceux qui soutiennent sont ceux qui ont des bourses conséquences, ceux qui n’ont pas trouvé d’échappatoire », analyse Abdellatif Miraoui président de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech. Aujourd’hui, la bourse d’excellence, qui s’élève à 3000dhs mensuel, n’est octroyée qu’a 300 étudiants par an. Un montant qui ne semble cependant pas suffisant puisque 41 % des doctorats boursiers abandonnent eux aussi leur thèse. C’est pourquoi, selon le Conseil supérieur de l’éducation, 44 % des doctorants exercent une activité professionnelle en parallèle à la préparation de leur thèse. « Or, la recherche se fait à plein temps. Il faut être au laboratoire ou à l’université tous les jours pour produire du savoir ».
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Un écosystème bloqué
Il y a deux ans, Amina*, 28 ans, étudiante en gestion de l’environnement à l’Université Hassan II de Casablanca, a abandonné sa thèse qui portait sur le développement durable en Afrique. Pour elle, au problème financier s’est ajouté un manque d’encadrement : « Je ne me suis pas sentie accompagnée ou stimulée dans mes recherches que ce soit à l’université ou au laboratoire. Je devais me débrouiller seule avec un accès aux recherches bibliographiques très limité », explique cette étudiante qui a finalement préféré se tourner vers le privé.
« Il y a en effet un vrai manque de vie dans les laboratoires de recherche au Maroc : manque de bureaux, de séminaires, de missions claires, de lieux de rencontres… Ce qui entraîne une démotivation chez les étudiants », explique Mehdi Alioua sociologue et président de la chaire Migrations, mobilités et cosmopolitisme de l’Université Internationale de Rabat (UIR).
Désormais, Amina travaille pour une société privée de transformation agricole : « Je gagne très bien ma vie et surtout j’évolue dans un milieu ultra dynamique. On travaille en équipe et on participe à différents forums internationaux ».
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Des profils courtisés par les employeurs
« Nous ne cherchons pas particulièrement à attirer ce genre de profils mais lorsqu’ils se présentent, notamment dans le domaine du big data ou de l’intelligence artificielle, leurs connaissances pointues sont très appréciées », explique un dirigeant du secteur IT qui a préféré rester anonyme. Un avis partagé au sein de l’Office chérifien du phosphate (OCP) : « Le profil du doctorant intéresse particulièrement l’entité innovation en charge du pilotage et management du « portefeuille de projets d’innovation et de recherche et développement » du groupe », nous explique-t-on.
Thèses financées
Pour mettre à profit les connaissances pointues de ces étudiants sans léser le milieu de la recherche, de nombreuses entreprises privées ont mis en place des systèmes de partenariats avec les universités. « Lorsque l’université signe un contrat avec des grands groupes marocains comme Managem ou l’Office chérifien du phosphate (OCP) nous demandons à la société d’engager un post-doctorant qui sera financé pendant les trois années de sa thèse entre 6000 et 10 000dhs par mois », explique le président de l’Université.
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De son côté, l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) propose aux collaborateurs OCP de compléter leur formation universitaire initiale en réalisant un doctorat au sein de ses différentes unités de recherche. Les programmes, financés par le groupe, sont menés sur trois à quatre ans et permettent aux étudiants-chercheurs de développer des projets de recherche communs avec les différents partenaires académiques et industriels de l’université. En 2018, 21 collaborateurs du groupe ont profité de ce projet.
*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des témoignages.