Chômage, sous-emploi, formation professionnelle. Le ministre ivoirien de la Promotion de la Jeunesse et de l’Emploi des jeunes, Mamadou Touré, a accepté de revenir pour Jeune Afrique sur les dossiers qu’il gère depuis sa nomination en juillet 2018.
Plus jeune ministre du gouvernement Gon Coulibaly II, le très médiatique Mamadou Touré, 43 ans, est ministre de la Promotion de la Jeunesse et de l’Emploi des jeunes depuis juillet 2018. Membre du Rassemblement des républicains (RDR), il connaît bien la problématique du chômage des jeunes ivoiriens puisqu’il a successivement occupé les postes de conseiller technique chargé de la jeunesse à la présidence, secrétaire d’État à l’Enseignement technique puis à la formation professionnelle. De passage à Paris le 24 mai dernier, à l’occasion d’une rencontre organisée sur l’emploi décent par l’Agence française de développement (AFD), il revient sur les besoins en formation d’un pays où 30 % des actifs sont surqualifiés pour l’emploi qu’ils occupent et où les jeunes diplômés sont les plus touchés par le chômage.
Il y a quelques jours, la Banque mondiale a annoncé le décaissement de soixante milliards de FCFA pour le financement du Projet emploi jeune et développement des compétences (Pejedec). Quand disposerez-vous de cet argent et comment va-t-il être utilisé ?
En 2011 nous avons eu le premier Pejedec qui a coûté à peu près 50 millions de dollars et bénéficié a à peu près 27 000 jeunes. Un deuxième est intervenu en 2015 pour la même somme et a bénéficié à 31 000 jeunes. Les soixante milliards de francs CFA viennent en appui additionnel. Pour cette phase, nous allons commencer la formulation d’un programme et de projets jusqu’en fin d’année. Ce qui a été annoncé est l’accord de la Banque mondiale pour cet appui additionnel qui double le montant injecté jusqu’à présent dans ce programme. Cela dénote la réussite des deux premiers programmes qui ont bénéficié à près de 60 000 jeunes. Je pense que ce financement devrait être effectif en 2020 ou 2021.
Lorsque vous dites que le programme a bénéficié à 60 000 jeunes, qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Des jeunes placés en stage, en apprentissage ou accompagnés pour devenir des entrepreneurs.
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Vous avez affirmé que d’ici 2020, 500 000 jeunes trouveront un stage ou une formation grâce au Pejedec. N’est-ce pas trop ambitieux ?
Je ne parlais pas que de ce programme. L’axe 4 du programme social du gouvernement traite de tout ce qui concerne l’insertion et l’autonomisation des jeunes. Dans ce cadre, l’objectif est de permettre à 500 000 jeunes d’accéder à des stages, de développer des activités génératrices de revenus, pour de participer à des formations qualifiantes ou à des travaux à haute intensité de main d’œuvre. Concernant les stages, sur 200 000 jeunes, 54 000 vont bénéficier d’ici 2020 de stages de pré-emploi c’est-à-dire des stages en entreprise leur apportant une qualification. Et 150 000 autres seront en stage de fin d’étude. C’est l’ensemble des programmes de stages, de travaux à haute intensité de main d’œuvre, de financement de projets et de formations complémentaires qualifiantes qui doit nous permettre d’atteindre 500 000 jeunes au total d’ici 2020. Le secteur privé est au cœur de la stratégie et nous travaillons actuellement avec les entreprises pour définir le nombre précis d’opportunités qu’elles peuvent offrir pour les deux ans à venir.
Le chômage des jeunes et le sous-emploi est le résultat de dix ans de contexte politique agité. Aujourd’hui, quel rôle peuvent jouer les entreprises pour combler l’absence de formation pendant cette période ?
Chaque acteur doit jouer pleinement son rôle. La responsabilité de l’État vis-à-vis des entreprises est de créer les conditions favorables à leur épanouissement. Cela passe par l’amélioration du climat des affaires et des mesures fiscales incitatives pour certaines entreprises qui embauchent des jeunes.
Au-delà du secteur privé, l’État a mis en place un dispositif national d’appui et d’accompagnement pour les jeunes. Ceux qui veulent entreprendre ont souvent des difficultés d’accès aux financements quand ils s’adressent aux banques traditionnelles. Nous relançons un dispositif le mois prochain qui permet aux jeunes entrepreneurs, en contrepartie d’une garantie bancaire de l’État, d’obtenir des financements auprès de la Banque nationale d’investissement (BNI) ou de la Copec, qui est un institut de microfinance.
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N’est-ce pas un aveu d’échec de la part de l’État de pousser les jeunes à créer leur propre emploi ?
Non, c’est une solution, même si cela ne doit pas être la seule. Prenez la structure des emplois dans un pays comme la Côte d’Ivoire : le secteur privé ne représente que 600 000 emplois. Ce n’est pas suffisant pour absorber le nombre de jeunes qui sortent chaque année de nos écoles et universités. Donc, l’une des solutions est d’accompagner ceux qui veulent prendre des initiatives. C’est d’autant plus important que les banques ne leur font pas confiance.
Les femmes sont aussi considérées plus à risque…
Contrairement à ce que vous dites, les femmes sont plus facilement financées que les jeunes. On considère que leur taux de remboursement est plus élevé. Et il est admis qu’une femme qui a un prêt, le gère avec davantage de responsabilités qu’un jeune compte-tenu de son rôle dans la cellule familiale.
Les recruteurs se plaignent régulièrement du manque de techniciens. Que faites pour résoudre ce problème ?
Nous avons des projets développés dans le cadre du Pejedec mais également des projets avec l’agence emploi jeune. Nous avons par exemple un dispositif appelé formation complémentaires qualifiantes (FCQ) qui regroupe des programmes de formations dédiés à la reconversion de jeunes universitaires vers des métiers porteurs. Mais en réalité c’est la refonte de l’enseignement supérieur et professionnel qui apporterait une solution durable. Une discussion est en cours entre le secteur privé et l’État pour que les formations professionnelle soient davantage en adéquation avec l’orientation économique voulue par le chef de l’État notamment en faveur de la transformation du cacao, du café ou de l’anacarde, et les besoins des entreprises privées. Une réforme est également en cours au niveau de l’enseignement supérieur, financée aussi en partie par le Pejedec, qui permet d’aller vers la professionnalisation des filières dans nos universités.
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Ne serait-il pas plus rapide de nouer des partenariats public-privé pour créer des centres de formation ?
Les entreprises n’attendent pas l’État pour agir. Beaucoup ont créé des centres de formation en leur sein à l’image de Bolloré, Nestlé ou de la Compagnie ivoirienne d’électricité.
Au vu de ces exemples, ne serait-ce pas à vous d’accélérer ce mouvement ?
Bien sûr que si. Non seulement nous les soutenons, mais nous arrivons à tisser des partenariats avec ces entreprises. Lorsque j’étais secrétaire d’État à la formation professionnelle, je constatais que chaque année, une quarantaine d’étudiants du lycée professionnel de Yopougon faisaient une partie de leur formation pratique au sein de l’usine de Nestlé voisine.
Encore une fois, il semble là aussi que c’est l’entreprise qui a pris les devants…
Non. Nous avons une direction chargée de prospecter les entreprises pour trouver les opportunités car la formation pratique joue pour beaucoup. D’ailleurs dans la réforme de la formation professionnelle, et de l’apprentissage, nous nous inspirons de ce que fait la Suisse de sorte qu’une grande partie du volume horaire de formation se passe plutôt en entreprise. C’est en cours et nous espérons observer les premiers résultats dans les deux-trois prochaines années.