Avec le développement du secteur et l’arrivée de nouveaux acteurs, la guerre des talents fait rage dans l’agrobusiness. D’autant plus que certains postes exigent beaucoup de sacrifices.
Directeur d’une plantation située à six heures de Kinshasa, contrôleur de gestion dans un bureau d’Abidjan ou docteur vétérinaire dans un élevage dakarois… Difficile de résumer en trois postes la variété de métiers qu’exploitent les secteurs de l’agrobusiness et de l’agro-industrie en Afrique. Mais ce qui est sûr, c’est qu’ils se développent à mesure que l’urbanisation progresse et que les habitudes alimentaires des Africains se transforment.
Ces évolutions amènent les entreprises à grandir et recruter, d’autant plus qu’elles sont soutenues par des bailleurs de fonds tels que la Banque africaine de développement (BAD) et son « Initiative pour le développement de l’agrobusiness et des agro-industries » (ID3A). Cette dernière s’est donnée pour objectif d’augmenter la part des produits agricoles transformés en « produits différenciés à forte valeur ajoutée, de sorte qu’en 2020, plus de 50 % des produits alimentaires du continent vendus sur les marchés locaux et nationaux soient des produits transformés », indique l’institution dans un rapport.
Les filières à surveiller
L’objectif est ambitieux et doit motiver jeunes diplômés et profils plus expérimentés à s’intéresser aux offres que pourvoient les entreprises du secteur. « Nous recrutions beaucoup de directeurs de domaines, d’usines ou de plantation (banane ou cacao) mais ces offres ont tendance à ralentir », observe Deffa Ka, directrice du cabinet Fed Africa. Selon elles, les postes les plus recherchés actuellement concernent les fonctions support, les achats, ou le juridique. Concernant cette dernière, la recruteuse souligne que « ces activités ont bien souvent des problématiques liées au fonciers ou à l’expropriation qui nécessite ce type de compétences ».
Il y a eu beaucoup de joint-ventures entre planteurs et transformateurs, ce qui découle sur des recrutements de directeurs généraux, directeurs d’usines, directeurs juridiques ou directeurs d’achat »
« Les activités post-récolte non-agricoles de l’économie de l’alimentation telles que la transformation, la logistique et la vente au détail, se développent rapidement. Elles représentent 40 % de la valeur ajoutée du secteur et continueront à prendre de l’ampleur », analysait en 2016, Thomas Allen et Philipp Heinrigs, deux chercheurs de l’OCDE. Ce que confirment l’ensemble des spécialistes interrogés pour cette enquête. « Ces dernières années, il y a eu beaucoup de joint-ventures entre planteurs et transformateurs, notamment en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Ghana, au Liberia et au Sénégal, ce qui découle sur des recrutements de directeurs généraux, directeurs d’usines, directeurs juridiques ou directeurs d’achat », confirme de son côté Deffa Ka.
Des postes de direction difficiles
Certaines positions ne sont pas accessibles à tout le monde. C’est le cas des directeurs de sites tels que des usines ou des plantations : « Neuf fois sur dix, les demandes concernent du travail en site isolé, c’est-à-dire des postes en forêt, plantation, loin des capitales ou grandes villes, explique Igor Rochette, directeur de Michael Page Africa. Cela exclut les candidats parents d’enfants scolarisés et ceux qui ont des besoins médicaux. Il faut également être stable sur le plan psychologique et personnel », poursuit le recruteur.
99 % sont des ingénieurs à la fibre aventurière qui aiment ce mode de vie et ont de grands enfants.
À différence des directeurs de sites miniers qui, en général, sont deux pour occuper un poste en rotation mensuelle, les postes de direction en travail isolé dans l’agrobusiness sont gérés seul et exigent un rythme annuel de cinq mois sur site suivi d’un mois de congés. « Ajoutez à cela la gestion de beaucoup de personnel, de problématiques communautaires ou encore du respect des normes environnementales et des salaires faibles par rapport à l’exigence du poste, nous n’avons pas beaucoup de candidats », détaille Igor Rochette. Selon lui, cette fonction est rémunérée entre 100 000 et 120 000 euros par an contre 250 000 pour un directeur de site minier.
Résultat, le vivier est extrêmement restreint et les candidats connus par tous les spécialistes du recrutement : « 99 % sont des ingénieurs à la fibre aventurière qui aiment ce mode de vie et ont de grands enfants. Nous en connaissons une trentaine pour tout le continent », souligne le dirigeant de Michael Page.
À la recherche d’ingénieurs
Dans une moindre mesure, le cœur de métiers fait face au même problème de pénurie car ils concernent des ingénieurs spécialisés encore trop peu nombreux sur le continent : « Les besoins sont difficiles à combler sur des postes de responsables de production, de maintenance ou de qualité. Et les recrutements prennent du temps », explique Yves Roland Alliman, directeur des ressources humaines d’Olam en Côte d’Ivoire.
Les nouveaux acteurs n’ont pas d’autres choix que d’aller piocher dans la main d’œuvre existante. »
Pour trouver les profils adéquats, ce dernier n’hésite pas à élargir son spectre de recrutement à toute la sous-région. Et la guerre des talents ne fait que commencer : « Beaucoup d’usines se créent en ce moment dans la noix de cajoux. Les nouveaux acteurs n’ont pas d’autres choix que d’aller piocher dans la main d’œuvre existante », regrette le dirigeant d’Olam qui confie s’être fait piquer deux techniciens de maintenance au cours du mois de juin.
En réponse, le spécialiste du négoce et du courtage alimentaire – mais aussi ses concurrents – innove en créant notamment des programmes « jeunes talents », qui visent à repérer les meilleurs jeunes diplômés et leur offrir très tôt une vision assez précise de leurs perspectives d’évolution au sein du groupe. Une bonne manière d’être attractif tout en fidélisant les salariés.