Amadou Hott : « Le Sénégal vise la souveraineté alimentaire, pharmaceutique et sanitaire »
L’épidémie de coronavirus oblige le gouvernement à redéfinir ses priorités de développement. Le point avec le ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération, Amadou Hott.
Dès le 23 mars, le président Macky Sall a déclaré l’état d’urgence (prolongé jusqu’au 30 juin), fermé les frontières et instauré un couvre-feu pour contrer la progression de l’épidémie de Covid-19.
Dans la foulée, il a annoncé l’adoption d’un Programme de résilience économique et sociale exceptionnel doté de 1 000 milliards de F CFA (1,5 milliard d’euros) pour aider les populations fragiles, mais aussi les entreprises, à surmonter cette période difficile.
C’est Amadou Hott, ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération, qui veille en partie à son application. En première ligne face aux conséquences de l’épidémie, l’ex-banquier et ancien vice-président de la BAD doit également redéfinir les priorités de développement du pays à l’aune de cette crise sans précédent.
Il répond aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique : La crise du Covid-19 affecte l’économie mondiale. Quelles conséquences prévoyez-vous pour le Sénégal ?
Amadou Hott : Notre taux de croissance devrait baisser drastiquement, mais nous n’attendons pas une récession. En tenant compte des chiffres du premier trimestre et sur la base d’une reprise graduelle de l’activité, nous anticipons un taux de croissance du PIB de 1,1 % en 2020, contre 5,3 % l’an dernier. En début d’année, donc avant la crise du Covid, nous espérions atteindre un taux de 6,8 %.
Cette prévision reflète la baisse d’activité constatée dans les différents secteurs que sont l’hôtellerie, la restauration, le tourisme en général, mais aussi les transports aériens et terrestres ou encore l’enseignement. Parmi les secteurs qui tiennent bon malgré la crise, il y a les télécoms, le BTP et les services financiers. Durant cette période, notre balance commerciale s’est également dégradée, car si nos importations ont chuté, nos exportations (phosphates, revenus du tourisme…) ont été encore plus affectées par le ralentissement de la demande de nos partenaires et par la fermeture des frontières. Le déficit du compte courant devrait s’établir cette année à 10 % du PIB, contre 9 % en 2019.
Le gouvernement a annoncé en mai un plan de relance. De quoi s’agit-il ?
Il est important de renforcer notre souveraineté dans des secteurs stratégiques comme l’agriculture, par exemple en produisant davantage de riz. Dans le cadre du plan de relance, nous avons augmenté de 50 % nos subventions et investissements pour la campagne agricole 2020-2021, en passant de 40 à 60 milliards de F CFA afin de permettre aux cultivateurs, notamment aux femmes et aux jeunes, d’acheter plus d’engrais, de semences et de matériels agricoles. Cela devrait nous permettre d’augmenter les rendements, d’autant que nous prévoyons pour l’hivernage une pluviométrie plus importante que celle de l’an passé. Nous voulons aussi appuyer le secteur pharmaceutique et en profiter pour le réformer.
Actuellement, un industriel ne peut pas récupérer la TVA qu’il paie sur les intrants, car il n’y a pas de TVA sur les produits pharmaceutiques. Il faut que l’on trouve une formule pour rendre les choses plus équitables pour les producteurs locaux. Nous voulons aussi accélérer les délais pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché des nouveaux traitements et revoir le code de la pharmacie, qui oblige que, dans ce secteur, 51 % du capital des nouvelles entreprises soit détenu par des intérêts sénégalais publics ou privés. Nous pensons que c’est un frein à l’investissement.
L’État va mettre plus de terres à la disposition des petits producteurs, et surtout des industriels
La souveraineté sanitaire passe aussi par un meilleur accès aux infrastructures de soins. L’État va mettre en place un plan quinquennal pour améliorer ce point et former davantage de personnel médical. Nous organiserons une table ronde des bailleurs de fonds pour nous aider dans ce domaine. Nous évaluons l’investissement global à environ 1,5 milliard d’euros. C’est pourquoi nous avons accéléré la réforme qui vise à simplifier la loi PPP (partenariat public-privé) et à rendre ainsi la participation du secteur privé national plus importante. Il est évident que l’État ne pourra pas investir seul.
Avant d’être au centre du plan de relance, l’agriculture était déjà un des piliers du Plan Sénégal émergent (PSE). Dans ce domaine, qu’il s’agisse des difficultés des huiliers ou de celles du pays pour atteindre l’autosuffisance en riz, les résultats sont mitigés. Que va faire le gouvernement ?
Concernant la production de riz, l’État, en plus de l’augmentation de ses subventions pour l’achat d’engrais, de semences de qualité, de matériels, va aussi, notamment par l’intermédiaire de la Société nationale d’aménagement et d’exploitation des terres du delta du fleuve Sénégal [Saed], mettre plus de terres à la disposition des petits producteurs, et surtout des industriels.
L’objectif est d’avoir davantage de sociétés comme la Compagnie agricole de Saint-Louis [CASL], qui vend 100 % de sa production sur le marché sénégalais. Avec cette stratégie, on doit pouvoir atteindre rapidement l’autosuffisance en riz. S’agissant du secteur de l’arachide, il est vrai que l’an dernier les transformateurs locaux ont eu des difficultés à s’approvisionner parce que les importateurs chinois ont acheté à des prix supérieurs à ceux fixés en début de campagne, pour le plus grand bonheur des cultivateurs.
Il faut des réformes pour parvenir à un équilibre qui satisfasse toutes les parties prenantes et qui permette de créer plus de valeur ajoutée au Sénégal, en exportant des produits finis ou semi-finis plutôt que de l’arachide brute. Il faut soutenir les huiliers, car les acheteurs chinois ne pratiqueront peut-être pas toujours les mêmes prix. Pour que les industriels locaux offrent un meilleur tarif, il faut qu’ils améliorent leur compétitivité, par exemple en baissant leur facture énergétique.
La Sonacos, le producteur d’huile historique du Sénégal, est-elle toujours destinée à être privatisée ?
C’est la volonté de l’État, mais le timing n’est pas arrêté. L’important est de rendre son outil industriel plus attrayant pour attirer des partenaires privés nationaux ou internationaux. Ensuite, nous pourrons envisager une privatisation partielle, totale ou un partenariat avec des intérêts privés.
Dans la crise actuelle, le Sénégal a-t-il besoin d’une annulation de sa dette ?
L’appel du président Macky Sall pour l’annulation de la dette ne concerne pas tous les pays. Cette initiative doit être étudiée au cas par cas en fonction de la vulnérabilité de chacun. Et cela pourrait porter sur les dettes publiques bilatérales (90 milliards de F CFA au titre de service de la dette pour l’année 2020). À la suite de cet appel, le G20 et le Club de Paris ont annoncé un moratoire sur 2020 qui pourrait être reconduit en 2021. Ensuite, ces sommes devront être remboursées sur quatre ans, avec un an de différé.
Ce moratoire est une bouffée d’oxygène pour de nombreux pays. Mais nous pensons qu’on peut aller plus loin
Pour la dette commerciale (emprunts obligataires, dettes bancaires), le chef de l’État est favorable à la mise en place d’un mécanisme innovant. La communauté internationale pourrait, par exemple, créer un véhicule financier ad hoc qui puisse prêter des fonds sur vingt, vingt-cinq ans à des taux concessionnels ou semi-concessionnels pour rembourser ces créances commerciales dues sur 2020 et 2021. Dans le contexte actuel, les coûts de financement de tous les pays augmentent.
En 2020 et en 2021, le service de la dette commerciale représentera pour l’Afrique subsaharienne environ 37 milliards de dollars. Le président Macky Sall a livré un plaidoyer en ce sens. Ce dispositif donnerait au pays plus de marge budgétaire et nous permettrait de rembourser avec un taux d’intérêt plus faible. Mais le Sénégal a pris toutes les dispositions pour payer ses dettes, comme il l’a toujours fait.
Que pensez-vous de la réaction des institutions internationales durant cette crise vis-à-vis de l’Afrique ?
On se réjouit de la première réaction du G20 et du Club de Paris, mais nous pensons que l’on peut aller plus loin. L’annulation d’une dette prend plus de temps. On l’a vu à la fin des années 1990 et dans les années 2000. Ce moratoire est une bouffée d’oxygène pour de nombreux pays.
Certains investissements prévus dans le cadre du PSE vont-ils être décalés dans le temps ?
C’est nécessaire pour financer le programme de résilience économique et sociale. Nous avons surtout réduit les dépenses de fonctionnement, mais aussi repoussé quelques dépenses d’investissement, ce qui nous a permis de dégager une enveloppe de 159 milliards de F CFA. Mais il y a des projets prioritaires, comme le TER, certains aménagements routiers ou encore des réalisations dans les secteurs de la santé et de l’agriculture, qui se poursuivront comme prévu. Nous conduisons actuellement une revue du Plan d’actions prioritaires 2019-2023. Au mois de juillet, nous pourrons dresser la liste des projets concernés.
La crise du Covid va-t-elle amener le Sénégal à modifier ses objectifs de développement ?
Ce qui est important pour nous, c’est d’atteindre la souveraineté alimentaire, pharmaceutique et sanitaire. Une autre priorité porte sur la création d’emplois. Nous comptons beaucoup sur le secteur agroalimentaire, avec la mise en place d’agropoles. Trois sont en projet. L’une sera installée dans le sud pour dynamiser la région de la Casamance, par exemple en transformant des mangues et de l’anacarde. La partie publique du financement est bouclée en partenariat avec la BAD et la BID. Nous avons maintenant besoin de financements privés. Pour y parvenir, il faudra des réformes, offrir des incitations.
Nous voulons également réorienter les investissements vers la manufacture de certains produits (textile, médicaments, agroalimentaire…) pour que les pays qui voudraient diversifier leurs sources d’approvisionnement puissent le faire au Sénégal. Cela passe par la construction de nouveaux parcs industriels. L’État l’a déjà fait. À Diamniadio, 4 000 emplois ont été créés, et nous allons financer une deuxième phase d’extension de cette zone économique spéciale [ZES]. Le privé doit désormais prendre le relais, comme c’est le cas pour la ZES développée par la commune de Sandiara. Des opérateurs privés y ont déjà investi 42 milliards de F CFA et plus de 100 milliards d’investissements y sont attendus d’ici à l’an prochain.
Comment va Air Sénégal, qui était encore en phase de décollage quand s’est propagée la pandémie ?
C’est une période difficile. Comme toutes les compagnies au monde, Air Sénégal a été affectée par la fermeture de l’espace aérien. Elle est obligée de revoir son programme d’investissement, de réduire ses coûts. Son management doit nous présenter un plan stratégique révisé. Mais la période à venir va aussi lui offrir des opportunités en matière de location d’avions, de recrutement de personnel qualifié à moindre coût. L’État doit pouvoir continuer à accompagner la compagnie, parce que celle-ci n’est pas seulement importante pour le rayonnement du Sénégal, c’est aussi un outil économique qui doit contribuer à faire de notre pays un hub de services et lui permettre d’accueillir plus de touristes.
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