Edoh Kossi Amenounve (BRVM) : « Notre marché a montré sa résilience face à la crise »
Pour le DG de la Bourse régionale des valeurs mobilières, le rôle des places financières africaines sera crucial dans la relance des économies.
Alors que les Bourses mondiales se sont effondrées à la suite de la pandémie de Covid-19, le directeur général de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) ouest-africaine, implantée à Abidjan, revient pour JA sur le rôle des places financières dans l’après-pandémie.
Élu le 1er avril 2020 président de l’Association des Bourses des valeurs africaines (Asea), le dirigeant togolais plaide pour l’intégration financière et la libre circulation des capitaux sur les marchés du continent.
Comment la BRVM réagit-elle à la crise sanitaire et économique du Covid-19 ?
Edoh Kossi Amenounve : La BRVM, à l’instar des autres Bourses en Afrique et dans le monde, n’a pas été épargnée par la crise liée au Covid-19. Toutefois, notre marché a été moins volatil que la plupart des Bourses américaines, européennes, asiatiques et africaines, en particulier au cours du mois de mars, qui a connu une forte propagation de la pandémie.
En effet, l’indice BRVM Composite a reculé de 15 % de janvier à mai 2020, avec une baisse de 8 % au cours du mois de mars, contre, entre autres, des reculs de 12 % de la Bourse de Johannesburg ; – 18 % au Nigeria ; – 20 % à Casablanca ; – 26 % en Égypte ; et – 17 % pour le CAC 40 ; – 13 % à New York ou encore – 23 % à Bombay.
la résilience de notre marché témoigne de la confiance des investisseurs dans les fondamentaux de nos économies et de leur anticipation
Cette résilience de notre marché témoigne de la confiance des investisseurs dans les fondamentaux de nos économies et de leur anticipation, à ce stade, d’un impact certes significatif mais limité de la crise.
La croissance des économies de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) devrait ralentir, à 2,5 % en 2020, selon le FMI, contre 6,6 % en 2019. A contrario, des récessions sont attendues dans les autres régions d’Afrique subsaharienne et du monde.
Comment envisagez-vous son rôle dans la riposte à la crise ?
La BRVM joue un rôle important dans la stratégie de riposte à la crise liée au Covid-19, en facilitant la mobilisation de ressources par les États de l’Uemoa et le secteur privé, en vue d’atténuer les impacts de la pandémie et de limiter sa propagation.
Avec un besoin estimé à 5 284 milliards de F CFA (plus de 8 milliards d’euros), au 31 mai 2020, les États de l’Union ont mobilisé sous forme d’emprunts obligataires 498,2 milliards de F CFA (759 millions d’euros) sur le marché.
Par ailleurs, les investisseurs pourront consacrer une partie de leurs ressources à soutenir les levées de fonds effectuées par les PME présentes dans les secteurs stratégiques comme la santé, l’innovation technologique, l’énergie, les services financiers, en vue de leur admission au troisième compartiment de la BRVM.
En 2018, vous aviez lancé un programme d’élite censé accompagner les entreprises de la sous-région, choisies en fonction de leur potentiel de croissance, vers la cotation. Deux ans plus tard, où en êtes-vous ?
Le programme Elite BRVM Lounge, prévu pour deux ans, est une déclinaison régionale du programme Elite développé par le London Stock Exchange. Sur le plan local, ce programme vise à préparer les PME à fort potentiel à l’accès au financement à long terme sur le marché de capitaux, à travers leur introduction au troisième compartiment de la BRVM. Nombre d’entre elles y postulent, mais les places sont limitées à dix entreprises par cohorte.
À ce jour, nous avons lancé trois cohortes, ce qui nous permet d’intégrer 30 PME issues de tous les pays de l’Uemoa, à l’exception de la Guinée-Bissau. Avec ce programme, nous avons une meilleure visibilité sur le pipeline de PME engagées à se faire coter au terme du processus.
Celles-ci vont intégrer le troisième compartiment dans les années à venir. Les premières admissions, notamment celles des PME issues de la première cohorte, sont attendues dans les prochains mois.
Vous avez été porté à la tête de l’Asea. Quelles sont désormais vos priorités ?
Mon accession à la présidence de l’Association s’est faite en pleine crise sanitaire du Covid-19. Dès ma prise de fonctions, je me suis aussitôt attelé à coordonner les actions des Bourses africaines afin de préserver l’intégrité de nos marchés ainsi que la confiance des investisseurs.
À l’avenir, je souhaite piloter l’exécution de la stratégie post-crise des marchés de capitaux africains pour la relance des économies du continent
Des mesures d’ordre sanitaire, opérationnel et réglementaire ont aussi été prises par quasiment toutes les Bourses du continent pour protéger leur personnel, poursuivre leurs opérations à distance et faciliter la tenue des réunions des organes sociaux des entreprises cotées ainsi que la publication de leurs informations périodiques. Elles sont restées ouvertes et ont connu, pour certaines, l’accroissement de leurs volumes de transactions.
À l’avenir, je souhaite piloter l’exécution de la stratégie post-crise des marchés de capitaux africains pour la relance des économies du continent en mettant l’accent sur la mobilisation des ressources locales, le développement de l’investissement responsable et la libre circulation de l’épargne au niveau continental.
Que peuvent faire les Bourses africaines pour l’intégration économique de l’ensemble des pays du continent à l’heure où l’on s’achemine vers la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca) ?
Ce projet vise à accroître le commerce intra-africain de plus de 50 % en supprimant les barrières tarifaires puis non tarifaires. À terme, la Zleca doit permettre de créer un marché de plus de 1,2 milliard d’individus pour un PIB global estimé à environ 3 000 milliards de dollars
. Dans ce contexte, il apparaît que la concurrence dans le secteur privé sera rude, et seules les entreprises bien préparées réussiront à survivre en tirant leur épingle du jeu.
Les Bourses africaines ont donc un rôle important à jouer dans cette préparation des entreprises, en leur facilitant l’accès aux ressources à long terme en vue de financer leur développement et d’assurer leur pérennité.
Sur cette base, l’intégration des Bourses du continent se révèle primordiale, afin de faciliter l’accès à un marché plus large pour les émetteurs et les investisseurs, ainsi que la circulation des capitaux entre nos pays, et d’améliorer la liquidité des Bourses.
En ma qualité de président de l’Asea, je pilote actuellement avec le comité exécutif un important projet de connexion des Bourses de Johannesburg, du Caire, de Casablanca, de Lagos, de Nairobi, de Maurice, et de la BRVM. Ce projet dénommé AELP (Projet de liaison pour les échanges africains) est financé par la BAD à travers un fonds coréen et va faciliter les transactions boursières à l’échelle continentale en donnant un accès unique aux investisseurs. Il verra le jour au début de 2021.
Pour que la Zleca produise les effets escomptés, l’intégration commerciale doit s’accompagner d’une intégration financière facilitant la libre circulation des capitaux dans le secteur bancaire et sur les marchés.
la liquidité et la profondeur d’un marché de capitaux – qui font son attractivité – ne se décrètent pas
Vous avez récemment regretté que les Bourses du continent ne soient ni liquides ni profondes. Comment y remédier ?
De mon point de vue, la liquidité et la profondeur d’un marché de capitaux – qui font son attractivité – ne se décrètent pas. Elles se créent à l’intérieur d’un cercle vertueux entraînant de nouvelles cotations grâce à une information financière transparente et à l’éducation des investisseurs.
L’intégration des Bourses africaines constitue un moyen d’y parvenir, mais la route est encore longue.
L'éco du jour.
Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles